20 mai 2020
Carte Blanche

Entreprises et droits humains : ce que révèle le coronavirus

La Commission européenne vient d’annoncer sa volonté de légiférer pour obliger les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Cette avancée majeure s’avère plus que jamais nécessaire à l’heure où la crise sanitaire engendrée par le Covid-19 démontre toutes les limites d’une mondialisation non régulée.

Alors que la crise du coronavirus fait toujours rage dans le monde entier, le débat européen sur la reprise économique bat son plein. Le plan de relance sera vert et équitable – c’est du moins ce que promet le Pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission von der Leyen en décembre 2019. Mais il est un aspect primordial que les responsables politiques ne doivent pas perdre de vue dans ce débat afin de ne pas faire fausse route. Il s’agit de l’impact qu’ont les entreprises sur les droits humains et l’environnement au travers des chaînes de production globalisées qui nous permettent de consommer des produits aussi divers que des vêtements, des appareils électroniques et des aliments. Tant les causes que les conséquences de la crise actuelle démontrent en effet l’urgence d’une meilleure réglementation de ces activités économiques.

Mines, agro-industrie et déforestation

Premièrement, il faut rappeler que les activités économiques, pas ou peu réglementées, ont contribué à l’émergence de pandémies telles que celle du Covid-19. Des recherches supplémentaires sont certes encore nécessaires pour déterminer l’origine exacte du coronavirus. Toutefois, plusieurs scientifiques ont déjà souligné que la destruction à grande échelle de la nature par les industries minière, agro-alimentaire et forestière est un facteur important dans la propagation des maladies. En outre, le changement climatique et l’économie mondialisée accélèrent et amplifient les épidémies.

Selon les directives internationales existantes, les entreprises doivent faire tout leur possible pour éviter de contribuer, de quelque manière que ce soit, aux violations des droits humains et à la dégradation de l’environnement. C’est ce qu’on appelle le devoir de diligence des entreprises. Mais tout ceci repose uniquement sur la bonne volonté des entreprises et, en l’absence d’un cadre juridique contraignant, rien ne garantit que les entreprises le fassent davantage à l’avenir.

Des chaînes d’approvisionnement extrêmement précaires

Deuxième constat : la crise du Covid-19 a révélé la précarité et les défauts inhérents aux chaînes d’approvisionnement internationales, touchant particulièrement les groupes les plus vulnérables au bas de ces chaînes, et ce aux quatre coins du monde. Les travailleurs et travailleuses du textile, principalement des femmes, souvent privé·e·s de dialogue social, sont ainsi massivement licencié·e·s ou non payé·e·s pour des commandes passées avant la crise. Les mineurs artisanaux ne reçoivent plus d’argent en échange de leurs minerais. La situation en matières de santé et de sécurité dans les entreprises encore actives laisse cruellement à désirer dans de nombreux endroits. La pandémie laisse ainsi des millions de familles vivant du travail informel dans des situations d’extrême pauvreté, sans protection sociale, et devant choisir entre mourir du virus ou mourir de faim. Enfin, les défenseur·se.s de l’environnement et des droits humains ainsi que les syndicalistes qui s’opposent à de puissants intérêts économiques sont encore plus en danger en raison des mesures de quarantaine et de l’attention politique unilatérale portée à la crise du coronavirus.

La Commission a enfin ouvert les yeux

Retourner au « business as usual » comme avant n’est donc plus possible. La Commission européenne semble être également parvenue à cette conclusion. Le 29 avril, le Commissaire européen à la Justice Didier Reynders a promis dès l’année prochaine une proposition de législation qui imposerait un devoir de diligence aux entreprises. Il a explicitement inscrit cette réglementation dans le cadre de la réponse à la crise du Covid-19 et du Green Deal.

C’est une avancée historique vu que l’Union européenne s’était jusqu’alors toujours obstinée à considérer que les cadres volontaires existants étaient suffisants.

Concrètement, cela signifie que les entreprises européennes, tous secteurs confondus, devraient s’assurer du respect des droits humains et des normes environnementales tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Si elles ne le font pas, des sanctions suivront. Reste à voir si la proposition de la Commission européenne sera suffisamment ambitieuse et forte pour répondre de manière adéquate aux enjeux actuels et garantir l’accès à la justice pour les personnes affectées par les activités des entreprises.

La Belgique proactive ?

La Belgique peut et doit désormais jouer un rôle moteur dans la manière dont ces règles seront façonnées. Elle peut aussi elle-même donner le bon exemple en adoptant une loi nationale sur le devoir de diligence (comme l’a fait la France en 2017). Notre pays doit également s’engager dans les négociations en cours aux Nations Unies en vue d’adopter un traité international sur les entreprises et les droits humains. Mais aussi pousser l’Union européenne à contribuer de manière active et constructive à ces discussions Ce n’est qu’avec un cadre contraignant applicable à tous les niveaux (national, européen et international) que la relance économique pourra véritablement être durable, juste et équitable.

*signataires :

CNCD-11.11.11, 11.11.11, Broederlijk Delen, Commission Justice et Paix, WSM, Entraide et Fraternité, FOS, Oxfam-en-Belgique, FIAN Belgique, Amnesty International Belgique, CSC-ACV, FGTB-ABVV, CGSLB/ACLVB, Vredesactie