Politiques publiques pour une alimentation scolaire en Colombie : le vaccin idéal contre les pandémies à venir ?
L’Amérique latine et la Colombie sont particulièrement affectées par l’augmentation de l’obésité et du surpoids, qui est directement liée à l’expansion des régimes alimentaires industriels corporatistes. Les enfants et adolescent·e·s doivent être particulièrement protégé·e·s face à ce fardeau nutritionnel. Cet article tire quelques enseignements du travail d’appui et de plaidoyer mené par FIAN Colombie [1] auprès des établissements scolaires et des responsables politiques locaux en Colombie.
- Introduction
- Du travail communautaire au plaidoyer
- Analyse des résultats et leçons apprises
- En guise de conclusions ouvertes
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Introduction
La pandémie causée par le virus du SRAS-CoV-2 soulève de sérieuses questions quant à sa relation avec les processus alimentaires à l’ère du capitalisme. D’une part, elle met en évidence les preuves de la transmission d’agents infectieux par des causes directement liées aux systèmes alimentaires dits « modernes », puisque ceux-ci ont fragilisé la biodiversité et donc stimulé le passage d’agents viraux des espèces animales aux humains. D’autre part, elle indique clairement que le terrain favorable à l’issue fatale de la maladie a été créé par le même système alimentaire industriel à la source des maladies chroniques non transmissibles.
Le discours épidémiologique confirme en effet que les maladies non-transmissibles (cancer, maladies cardiovasculaires, auto-immunitaires ou métaboliques) sont déterminées par des facteurs de risque liés aux modes d’alimentation des populations, et à ce que nous appellerons dans la suite les régimes agro-industriels corporatistes [2].
Les enfants et les adolescents représentent des groupes qu’il faudrait particulièrement protéger de l’épidémie sous-jacente : celle de la malnutrition [3].
En Amérique Latine, les chiffres sont ahurissants. Le Mexique, la Colombie, le Brésil occupent les premières places par rapport aux indices d’obésité et de surpoids chez les jeunes, en même temps que les maladies chroniques non-transmissibles ont de plus en plus d’incidence sur les populations adultes. La malnutrition et la sous-nutrition progressent côte à côte [4].
FIAN Colombie s’est engagé depuis un peu plus de trois ans sur le plaidoyer concernant les politiques publiques locales qui s’occupent de l’alimentation à l’école, en particulier sur la publicité des produits ultra-transformés [5] (malbouffe) dirigée vers les jeunes, de leur vente à l’école et du programme national d’alimentation scolaire. Ce travail de plaidoyer vise à appuyer la lutte menée par les organisations de la société civile en Colombie contre la mainmise (corporate capture en anglais) [6] que le secteur de l’industrie agroalimentaire exerce sur les environnements scolaires.
Du travail communautaire au plaidoyer
Depuis trois ans, FIAN Colombie participe à un programme qui se situe au carrefour entre la recherche-action participative et le plaidoyer sur les politiques alimentaires visant les jeunes (enfants et adolescent·e·s). En Colombie, les chiffres de l’obésité et du surpoids chez les enfants scolarisés augmentent rapidement.
L’enquête nationale sur la situation nutritionnelle de 2010 a révélé qu’un enfant sur six était obèse ou en surpoids ; en 2015, ce chiffre était passé à un enfant sur quatre.
D’autre part, l’enquête nationale sur la santé scolaire montre que : huit écolier·ère·s sur dix consomment des produits emballés ; trois sur quatre consomment des boissons sucrées ; et, inversement, seul un sur dix consomme la quantité de fruits et légumes recommandée [7].
La région des caraïbes colombiennes étant une des zones les plus critiques d’indice de malnutrition, nous avons privilégié une action locale sur la communauté de la ville de Cartagena de Indias [8], à partir d’une intervention auprès d’une institution publique hébergeant 3.200 écolier·ère·s. C’est ainsi que sous l’approche de la recherche-action participative, nous avons mené une recherche collective sur les représentations sociales et les pratiques alimentaires des jeunes scolarisés (entre 12 et 15 ans), via la réalisation de focus groups.
Ce travail a soudé un sens communautaire au sein de l’institution, et l’initiative des écolier·ère·s a abouti à une réussite collective sous forme d’engagement des politicien·ne·s auprès des écolier·ère·s, de leurs professeur·e·s et de leurs familles. Les candidats locaux (du département dont la capitale est la ville de Cartagena) ont ainsi signé un compromis sur la politique publique alimentaire dans les établissements scolaires.
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- Une fille présente les exigences des écolier·ère·s aux candidats à la gouvernance du département de Bolivar à Cartagena de Indias.
- © FIAN Colombia 2019
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- Engagements des politiciens auprès des écolier·ère·s de l’institution éducative à Cartagena de Indias
- © FIAN Colombia 2019
Cette réussite a encouragé une action de plaidoyer de la part de FIAN Colombie auprès du conseil local de la mairie de Cartagena, qui a donné lieu à l’adoption d’un acte administratif (Accord 021 de 2029) qui régule la vente et la publicité de produits ultra-transformés au sein des établissements scolaires dans la ville [9].
Analyse des résultats et leçons apprises
1/ Rapport à la nature et à l’environnement
Les jeunes de Cartagena identifient les conditions de santé avec un environnement sain. Dans ce sens, il·elle·s associent les sources alimentaires naturelles (voire agroécologiques) avec la possibilité de jouir pleinement du droit à une alimentation et une nutrition adéquates. Les pratiques traditionnelles, restituées par l’exercice de la mémoire individuelle et collective, sont apparues comme une issue face à la pression des régimes agro-industriels corporatistes.
Le sens commun de ces jeunes rejette d’emblée la publicité des produits ultra-transformés, qui sont clairement identifiés comme des sources de maladie et de détresse. La tension entre le « libre choix » et l’imposition d’une stratégie de consommation est présente chez ces jeunes.
2/ Récupération du territoire et des corps
Les biens communs, et donc les ressources naturelles et l’alimentation qui en font partie, se mettent en rapport avec le territoire et avec le corps, par le biais de la notion de santé. La lutte pour le territoire est ainsi liée à la récupération de la terre, accaparée par les industries alimentaires, de la même façon que le corps et l’identité de genre se mettent en rapport avec l’expérience du bien-être. Récupérer son corps sain c’est aussi récupérer un territoire envahi par la domination de l’industrie, la publicité et ses modèles de liberté illusoire.
3/ Liberté de choisir
La liberté de choisir ce qui est bon pour la vie et la santé, prend son sens par la reconnaissance que ces jeunes font de leur culture alimentaire (dans le sens de cultiver la terre et dans le sens de pratiques culinaires et des usages traditionnels des aliments « naturels »). Cette représentation s’oppose d’emblée à l’idée que le libre choix d’une nourriture est déterminé par le libre marché, toujours guidé par l’influence de la publicité.
4/ Configuration de sujets politiques autonomes
Les représentations sociales identifiées, ainsi que les pratiques instaurées autour de la nourriture, configurent pour ces jeunes colombien·ne·s des principes d’autonomie d’un sujet politique capable d’exiger ses droits et objet de protection. Cette perspective remet en cause l’impératif de la notion de « consommateur·rice » et la restitue autour de la notion de « sujet social et politique ».
5/ Prise de conscience et mouvement collectif de la défense du droit à l’alimentation
L’expérience partagée avec la communauté de Cartagena, constitue un exemple régional que nous avons amplifié sur d’autres territoires (Antioquia et Cauca), dans le but de constituer des collectifs politisés autour d’une action commune, capables de plaidoyer au niveau local, dans le but de faire valoir et de protéger leurs droits. Le droit à une alimentation et une nutrition adéquates servant ici de catalyseur pour réclamer d’autres droits humains.
En guise de conclusions ouvertes
Le succès de ce processus collectif, mené autour d’une communauté éducative à Cartagena en Colombie, montre bien que le sens commun et les connaissances portées par les représentations sociales, ne sont pas complètement anéantis par l’influence des pressions publicitaires et médiatiques. Il montre également que les ressources traditionnelles, réappropriées à travers des exercices de mémoire collective et de pratiques sociales, sont une riche possibilité de lutte contre la dépossession symbolique et réelle des territoires, des corps et des cultures.
Les points de rencontre avec cette communauté et le rattrapage de ses valeurs culturelles, ont été la source du plaidoyer qui a mené à une stratégie collective de défense du droit à une alimentation et une nutrition adéquates. Cette stratégie collective a ensuite mené à un engagement des acteurs politiques et des preneurs de décisions, qui a conduit à un accord du conseil de la ville pour le contrôle de la capture industrielle des espaces scolaires en Colombie. Il est possible de penser que cette expérience est reproductible ailleurs et une source d’espoir face à l’expansion des régimes agro-industriels coporatistes partout dans le monde [10].