Le maïs mexicain, au cœur des luttes paysannes
Le maïs représente la base de l’alimentation mexicaine, mais aussi de sa culture traditionnelle. Confronté au modèle industriel hautement polluant, qui impose les dictats de l’économie internationale, la "Demanda Collectiva Maiz" – un recours collectif contre le maïs transgénique au Mexique, est un exemple de résistance et de dignité paysanne.
- L’histoire du mouvement de défense du maïs
- Semences, Maïs et Demande Collective au Mexique
- Risques des OGM pour les semences natives
- Conclusion
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L’histoire du mouvement de défense du maïs
Le maïs est une plante originaire du Mexique et représente la base de l’alimentation traditionnelle mexicaine, elle porte en elle toute une valeur culturelle, symbolique, spirituelle et idéologique. Pendant des siècles, les peuples indigènes et paysans ont cultivé, reproduit, amélioré et conservé le maïs ainsi que la diversité des plantes auxquelles il est associé et qui constituent ses meilleures défenses.
La culture du maïs s’est ensuite exportée en Europe suite à la conquête coloniale et elle s’est ensuite répandue dans le monde entier, mais sans son bagage culturel et en la réduisant à une culture de seconde classe, plutôt destinée à la consommation animale. L’imposition d’un modèle de production industriel, suite à l’adoption de la Révolution Verte et son paquet d’innovations technologiques (variétés de semences standardisées à haut rendement, utilisation massive d’intrants chimiques, et irrigation), est venu mettre en péril cette plante à haute valeur culturelle. La dispute entre deux modèles de production était donc lancée : le modèle paysan, ancestral et protecteur de l’agrobiodiversité d’une part, et le modèle industriel, hautement polluant, et destructeur d’identité, générant dépendance et suprématie du marché d’autre part. Le maïs s’est alors retrouvé au cœur de la bataille entre ces deux modèles.
En réalité, le modèle paysan repose sur une multiplicité de motivations qui vont bien au-delà des considérations de rationalité économique. Il englobe des dimensions culturelles importantes et comprend une gamme incroyable d’espèces qui assurent un régime nutritif et diversifié à la population.
Au Mexique, le maïs fait partie du patrimoine bioculturel. Il est à la base de la souveraineté alimentaire et constitue un symbole d’autonomie et d’affirmation identitaire : identité mexicaine, paysanne, indigène. Il revêt aussi un caractère sacré puisqu’il est source de vie et de création, selon la cosmovision des peuples natifs de cette terre. Avec d’autres plantes comestibles comme les haricots et les courges, il est une composante phare de la milpa, un système de production ancestral pratiqué traditionnellement par diverses communautés natives d’Amérique centrale, qui représente le pilier de l’alimentation paysanne et autour duquel se structurent les activités familiales et communautaires.
Face à cela, s’impose un modèle industriel dont l’unique motivation est le profit et le monopole sur l’alimentation au niveau mondial, formatant notre alimentation et la réduisant à quelques composantes standardisées ayant perdu toute leur valeur originelle. Avec les gouvernements de Fox et Calderon, une politique favorable à l’introduction d’OGM a été impulsée, ce qui a impliqué une appropriation du maïs selon la logique perverse des droits de propriété intellectuelle, exposant les paysans à une appropriation des semences par les entreprises.
Semences, Maïs et Demande Collective au Mexique
En 2013, un collectif luttant contre le maïs transgénique et constitué de 53 personnes et 20 organisations paysannes, indigènes, académiques, scientifiques, artistiques, gastronomiques et de protection des consommateurs, a introduit une "demande collective d’action diffuse" [1].
Au Mexique, la Demanda Collectiva Maiz – un recours collectif contre le maïs transgénique au Mexique, est un exemple de résistance et de dignité paysanne.
Dans cette action, le collectif demande, non pas une simple compensation financière, mais une déclaration des tribunaux fédéraux stipulant que la libération ou le semis de maïs transgénique affectera de manière irréversible la diversité biologique des maïs natifs, ainsi que le droit à l’alimentation et le droit à la santé. Suite à cette action collective, les tribunaux mexicains ont adopté, en septembre 2013, une mesure de précaution qui empêche de semer des OGM de maïs à des fins commerciales au Mexique, centre d’origine et de diversification du maïs, et ce pendant toute la durée du procès. Ce fait fut une des principales victoires du Collectif: la suspension des permis d’ensemencer le maïs transgénique dans le pays.
Finalement en octobre 2021, la Cour Suprême de Justice du Mexique a émis une Résolution finale confirmant la légalité et la validité de la mesure préventive, et ce malgré tous les recours juridiques introduits par les entreprises multinationales telles que Monsanto, Syngenta, Dow, Dupont. Cette résolution est d’une importance capitale pour la défense des droits environnementaux.
La Cour a toutefois reconnu l’importance de l’utilisation de la biotechnologie pour le développement économique et scientifique du pays. Dès lors, les mesures juridiques permettent quand même d’utiliser les semences OGM de maïs à des fins scientifiques, afin de connaître les effets possibles de sa culture dans le pays. Cela confirme en fait le risque élevé que comporte les OGM pour la diversité des maïs natifs au Mexique. Il est toutefois à noter que malgré les craintes fondées liées à la prolifération du maïs OGM, les transnationales n’ont réalisé aucune investigation concernant ses effets sur la diversité des maïs natifs. On peut se demander si c’est par crainte des résultats de leurs recherches ?
Évidemment, il reste encore un long chemin à parcourir afin d’interdire définitivement les semences OGM de maïs au Mexique et ainsi protéger la richesse et la diversité des maïs natifs, la pratique ancestrale de la milpa, et plus généralement les droits des peuples autochtones et paysans et le droit à un environnement sain.
Cependant, la demande collective, la mesure préventive et la Résolution de la Cour suprême du Mexique représentent des avancées capitales dans la conservation de la biodiversité des 64 espèces et des centaines de variétés de maïs, tous de couleurs et saveurs diverses, et adaptées aux différentes altitudes ou conditions climatiques spécifiques. Cette demande collective est emblématique tant pour le Mexique que pour le monde entier, puisqu’elle a réussi à freiner les entreprises transnationales, qui en plus de s’approprier les droits sur les semences ancestrales en les brevetant, polluent l’eau, la terre, et l’environnement avec leurs produits agrochimiques.
Risques des OGM pour les semences natives
Les entreprises transnationales prétendent que le maïs transgénique est sûr et ne contamine pas les maïs natifs. Néanmoins, dans le cadre du procès, plusieurs risques liés au maïs transgénique ont été reconnus :
- L’existence de flux génétiques : les maïs natifs seront contaminés en conséquence des flux entre les différentes régions du pays. Il a d’ailleurs déjà été démontré que l’adoption de certains maïs hybrides a généré des flux de multiples gènes entre maïs hybrides de différentes régions, ce qui confirme l’existence de flux génétiques entre différentes espèces et variétés de maïs non OGM. On peut donc déjà dire que si le maïs OGM continue à se répandre, les barrières établies par la Loi de Biosécurité des OGM sera insuffisante. Les dommages seront incontrôlables et irréversibles.
- L’affectation des semences natives : si le maïs transgénique est semé, les paysans ne pourront alors plus réaliser le libre échange des semences sans contaminer les semences natives. Ces échanges paysans de semences sont pourtant une pratique importante en agriculture paysanne.
- L’utilisation du glyphosate : les OGM vont de paire avec un paquet technologique, plus spécifiquement, l’herbicide glyphosate, majoritairement utilisé pour le maïs OGM, ce qui constitue une préoccupation puisque l’OMS a classé ce produit comme probablement cancérigène depuis 2015. Le fameux herbicide s’est en effet déjà avéré mortel pour la santé humaine et la biodiversité.
- L’augmentation des herbicides : les OGM impliquent la la prolifération des herbicides et conséquemment, l’augmentation de la résistance des mauvaises herbes, ce qui conduit finalement à la sur-utilisation et à la combinaison de plusieurs herbicides.
- Une étude réalisée par l’Institut National d’Ecologie et du Changement Climatique en charge de la détection et du monitoring des OGM, ainsi que par le Service national sanitaire et de qualité des aliments a déjà permis d’identifier la présence illicite de transgéniques dans les maïs natifs et ce, dans 6 états mexicains, á Oaxaca, Puebla, Chiapas, Veracruz, Michoacan et Guanajuato entre 2004 et 2012. Ces faits prouvent bien qu’une utilisation bio sécurisée des OGM ne peut pas être garantie, vu qu’avec à peine quelques expériences réalisées avant 2013, la contamination a déjà eu lieu. De manière évidente, l’autorisation de l’utilisation d’OGM à plus grande échelle augmentera le risque de perte de contrôle et les risques pour l’environnement et la santé.
En somme, la finalité de la demande est que les tribunaux fédéraux déclarent que la libération et les semis de maïs transgéniques causent un dommage au droit humain à la diversité biologique. Elle cristallise la dispute entre deux paradigmes.
Conclusion
La vision dominante tente d’implanter un modèle de développement agro-industriel, colonial, raciste et qui marginalise le peuple maya et les paysans mexicains en général, allant à l’encontre de la vision des communautés locales, de leur essence et mode de vie, en implantant un modèle uniformisateur et commercial qui porte atteinte aux principes fondamentaux de la vie : la diversité. Le maïs est au cœur de cette lutte et symbolise la volonté d’exister du peuple maya, sa détermination à défendre sa culture, son identité liée à la terre, aux semences, à la souveraineté alimentaire et la pratique ancestrale de la milpa.
Cette lutte est emplie d’une dimension spirituelle. Elle est tout à fait emblématique de la lutte pour la défense des droits des paysan·ne·s et rejoint totalement les combats de FIAN, à savoir:
- La lutte pour une alimentation adéquate, saine et nutritive dans des systèmes alimentaires justes et locaux ;
- La lutte pour la souveraineté alimentaire des peuples sur les systèmes alimentaires et les ressources naturelles;
- La lutte contre le contrôle des systèmes alimentaires et la gouvernance alimentaire par les entreprises, le démantèlement des droits humains et la criminalisation des luttes;
- La lutte contre la destruction environnementale et climatique.