Rapport de FIAN devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies
Du 17 au 20 février 2020, la Belgique passait son cinquième examen périodique devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU (Comité DESC) à Genève. À cette occasion, les organisations de la société civile ont l’occasion de présenter des rapports parallèles pour mettre en évidence les principaux problèmes et manquements des États. FIAN a saisi cette occasion pour pointer les problèmes au regard du droit à l’alimentation et à la nutrition en Belgique [1]. Cet article fait une synthèse des principaux constats.
- Absence d’ancrage légal du droit à l’alimentation en Belgique
- Pauvreté et aide alimentaire
- Malnutrition et obésité
- Transition vers des systèmes alimentaires durables, locaux et résilients
Absence d’ancrage légal du droit à l’alimentation en Belgique
Bien que le droit à l’alimentation soit consacré dans plusieurs traités de droits humains ratifiés par la Belgique, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art.11), il n’est toujours pas explicitement inscrit dans la Constitution et dans le cadre législatif belge.
L’article 23 de la Constitution belge consacre une série de droits économiques et sociaux (droit au travail, droit au logement, droit à la sécurité sociale, etc.) mais ne mentionne pas explicitement le droit à l’alimentation. Par conséquent, le droit à l’alimentation est très peu invoqué devant les cours et tribunaux et les obligations relatives au droit à l’alimentation sont peu intégrées dans les politiques publiques.
En 2014 une proposition de loi-cadre « instaurant l’obligation d’une mise en œuvre effective du droit à l’alimentation par la Belgique » a été déposée au Parlement fédéral par le groupe Ecolo-Groen [2].
Les objectifs fixés par la proposition de loi visaient notamment à :
- définir une stratégie nationale en matière d’alimentation sur base d’une large concertation sociale ;
- préciser les obligations en matière d’aide alimentaire ;
- soutenir des systèmes alimentaires durables ;
- lutter contre le gaspillage ;
- renforcer la qualité nutritionnelle de l’alimentation et le droit à l’information des consommateurs ;
- éviter que les pratiques des acteurs belges ne portent atteinte au droit à l’alimentation dans les pays en développement.
Malheureusement cette proposition de loi n’a jamais été discutée au Parlement faute de majorité politique suffisante. La proposition est maintenant tombée dans l’oubli. Il s’agit clairement d’une opportunité manquée pour faire avancer le droit à l’alimentation et à la nutrition en Belgique.
Pauvreté et aide alimentaire
Selon les statistiques européennes, environ 20% de la population belge est menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale, et 5 % (plus de 575.000 personnes) en état de privation matérielle sévère [3]. Ces personnes disposent de trop peu de moyens pour satisfaire leurs besoins fondamentaux, dont le logement, l’énergie, les soins de santé, et la nourriture. Le niveau de pauvreté stagne depuis une quinzaine d’années malgré les engagements de la Belgique de sortir 380.000 personnes de la pauvreté et de l’exclusion sociale d’ici à 2020 (par rapport à 2008).
En ce qui concerne l’aide alimentaire, les données officielles de la Belgique montrent une augmentation inquiétante du recours à l’aide alimentaire ces dernières années (voir tableau). Cette situation révèle une tendance à la précarisation des couches les plus vulnérables de la population, probablement à cause du démantèlement des filets de protection sociale et aux mesures d’austérité imposées après la crise économique de 2008. Les femmes seules avec enfants sont particulièrement touchées.
De leur côté, les organisations d’aide alimentaire estiment plutôt à 450.000 le nombre de personnes qui recourent régulièrement à l’aide alimentaire en Belgique [4]. On sait que cette situation s’est encore aggravée durant la période de confinement et la crise économique annoncée fait peser de nouveaux risques sur les populations précarisées
Pour une perspective féministe de la situation, voir l’article de Louise Donnet "Accès à l’alimentation en temps de pandémie : une perspective féministe"
Sur le terrain, les services d’aide alimentaire tentent tant bien que mal de faire face à la demande croissante mais elles manquent de moyens et reposent essentiellement sur un travail bénévole (les services d’aide alimentaire sont composés à 70 % de travailleur·euse·s bénévoles). Par ailleurs, les associations d’aide alimentaire dénoncent régulièrement la faible qualité nutritionnelle des produits achetés avec les fonds publics et la dépendance aux dons et aux invendus. Les personnes précarisées deviennent ainsi la poubelle de l’agro-industrie et « sont alimentées à partir des déchets des riches et des surplus de la production agroalimentaire et industrielle » [5]
Sur l’aide alimentaire, voir l’article "Une crise sanitaire qui souligne les tensions sociales : le cas de l’Aide alimentaire en Belgique" par Romane Quintin
ainsi que l’article d’Anne Leclercq "Nourrir les pauvres avec les déchets du capitalisme".
Pour les organisations de lutte contre la pauvreté, si l’aide alimentaire reste nécessaire, la priorité doit être de mener une lutte structurelle contre la pauvreté et de travailler à la transition vers un système alimentaire durable et inclusif, plutôt que de créer des systèmes particuliers, parallèles et stigmatisants pour les plus précarisé·e·s.
Malnutrition et obésité
La réalisation du droit à l’alimentation et à la nutrition ne signifie pas uniquement d’avoir accès à une quantité suffisante de nourriture. La nourriture doit également être saine et adéquate pour mener une vie en bonne santé. On constate malheureusement une augmentation alarmante de la surconsommation et de l’obésité en Belgique, qui augmentent significativement les risques de maladies non-transmissibles (maladies cardio-vasculaires, hypertension, diabètes, certains types de cancers, etc.). Selon la dernière enquête sur la santé de la population belge, le pourcentage de la population en excès de poids augmente de manière linéaire et significative ces dernières décennies. Le surpoids est passé de 41,3 % de la population en 1997 à 49,3 % en 2018, tandis que l’obésité atteignait 15,9 % en 2018 (contre 10,8 % en 1997) [6]. Aujourd’hui près d’un belge sur deux est donc trop gros.
Cette situation est une conséquence directe de l’évolution de nos modes de vie et de l’industrialisation toujours plus poussée de nos régimes alimentaires : produits issus de la restauration rapide, ultra-transformés et de mauvaise qualité nutritive (trop gras, trop sucré et trop salé).
Il est particulièrement préoccupant de noter que le surpoids et l’obésité touchent de manière disproportionnée les couches les plus précarisées de la population. On constate par exemple une différence de près de 20 points en fonction du niveau d’éducation (42 % en surpoids parmi les personnes diplômées de l’enseignement supérieur contre 61,8% chez les diplômées de l’enseignement primaire et les non-diplômées) [7]
Pour en savoir plus sur les facteurs qui influencent l’accès à une alimentation de qualité, voir l’article de Martin Biernaux "Alimentation et inégalités sociales de santé : l’accès à une alimentation de qualité en question" et "Mauvaise nutrition et obésité en Belgique : comment améliorer la situation ?" de Jonathan Peuch.
Pour tenter d’inverser la tendance, la Belgique s’est dotée, depuis 2005, de plusieurs Plans nutrition-santé, tant aux niveau fédéral que régionaux. Mais la dégradation continue de l’état nutritionnel de la population démontre que ces plans se sont avérés inefficaces pour endiguer le fléau de la malbouffe. Parmi les principales raisons de cet échec, il faut noter la difficulté de développer une approche globale et cohérente dans un terrain institutionnel belge fragmenté. Mais surtout le fait que ces politiques nutritionnelles restent essentiellement volontaires et non contraignantes pour l’industrie alimentaire.
Il est urgent de développer des politiques ambitieuses, en complétant les mesures volontaires par des mesures contraignantes pour l’industrie agro-alimentaire (interdiction de la publicité, taxes sur la malbouffe, incitants fiscaux pour les produits sains, obligation d’une information nutritionnelle à travers la généralisation du nutri-score, etc.). Ces mesures sont recommandées par les institutions internationales mais ont, jusqu’à présent, été empêchée par le lobby de l’industrie alimentaire.
Transition vers des systèmes alimentaires durables, locaux et résilients
La réalisation du droit à l’alimentation et à la nutrition pour toutes et tous ne se fera pas sans une transition globale vers un système agro-alimentaire plus durable et résilient, capable de rencontrer les défis sociaux, climatiques et environnementaux de notre époque. Dans ce sens, durant son mandat de Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation (2008-2014), le professeur Olivier De Schutter a exhorté les États à opérer une transition de l’agriculture industrielle vers des modèles plus durables, en particulier l’agroécologie [8]]. Cette recommandation a ensuite été reprise par sa successeuse Hilal Elver, ainsi que par les principales institutions internationales en matière d’alimentation, comme le Comité pour la sécurité alimentaire mondiale et la FAO [9].
Cette transition agroécologique est particulièrement urgente en Belgique où l’industrialisation de l’agriculture a largement détruit nos paysan·ne·s et notre environnement. L’agriculture industrielle a fait disparaître 68 % de nos petites fermes depuis 1980 en poussant toujours plus loin l’agrandissement des exploitations et l’intensification de la production. Aujourd’hui l’agriculture occupe moins de 1 % de la population active mais contribue à 12 % de nos émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture industrielle est également la première cause de l’effondrement de la biodiversité et de la pollution des nappes phréatiques. Et l’industrie alimentaire belge s’illustre fréquemment en étant l’épicentre de scandales sanitaires au niveau européen (œufs contaminés au fipronil, affaire Veviba, poulets à la dioxine, etc.).
La pandémie du Covid-19 a encore démontré la fragilité du système agroalimentaire mondialisé, basé sur des chaînes d’approvisionnement de plus en plus longues. À l’heure d’écrire cet article, les institutions internationales craignaient une nouvelle crise alimentaire mondiale, principalement dans les pays les plus pauvres [10]
Pour une perspective internationale, voir l’article de GRAIN "Des millions de personnes forcées de choisir entre la faim ou le Covid-19
En Belgique la crise a déjà lourdement frappé plusieurs filières exportatrices incapables d’écouler leur (sur)production sur les marchés internationaux à cause des mesures de confinement. C’est le cas notamment des pommes de terre et du lait. La crise a également poser de graves problèmes à de nombreuses exploitations qui reposent sur une main d’œuvre saisonnière étrangère payée à bas prix.
Cette crise n’est qu’un rappel de plus de l’urgence de poser des choix politiques clairs et cohérents en faveur de la relocalisation de nos systèmes alimentaires et de la transition agroécologique, comme l’ont rappelé de nombreux·ses expert·e·s et organisations de la société civile
Voir la carte blanche signée par FIAN et 45 organisations, « Le Covid-19 montre l’urgence de relocaliser dès maintenant les systèmes alimentaires », Le Soir, 12 avril 2020.