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PARTIE 2 : ENJEUX EN BELGIQUE

Accès à l’alimentation en temps de pandémie : une perspective féministe

Par Louise Donnet, chargée de communication chez FIAN Belgium et journaliste pour le média « Tout va bien »

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a conduit la Belgique à prendre des mesures de confinement drastiques. Du jour au lendemain, la majorité de la population s’est retrouvée enfermée chez elle, pendant qu’une autre partie de la population était dehors pour faire tourner la machine et prodiguer de l’aide et des soins à celles et ceux qui en avaient besoin. Et lorsqu’on parle de travail du soin (ou care en anglais), ce sont principalement les femmes qui sont sur le pont. Parallèlement, ce sont encore elles qui prennent en charge les tâches et le travail domestique. Clairement, en Belgique et dans le monde, les femmes ont été fortement impactées par les mesures prises par les différents gouvernements pour faire face au coronavirus. Quelles conséquences cela a-t-il eu sur leur accès à une alimentation adéquate et de qualité ?

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La crise mondiale liée au coronavirus a contribué à exacerber les inégalités existantes, ou du moins a mis en lumière certaines situations injustes ou d’oppressions systémiques [1]. De manière générale, les contextes de crise constituent des moments de menaces pour les droits humains, et donc entre autres pour les droits des femmes, des personnes queer et transgenres, des personnes racisées et des personnes en situation de handicap.

Et, bien que «le SRAS-COV2 ne fasse pas de discrimination, sans une réflexion approfondie, la réponse mondiale apportée à la pandémie de Covid-19 le pourrait» [2]. En effet, les mesures prises par les gouvernements pour faire face à la pandémie, tel le confinement d’une partie de la population (mais pas de ceux·celles qui vivaient dans la rue) ne sont pas neutres comme on pourrait le croire, mais sont bien le résultat de choix politiques. Il est bon de garder à l’esprit que l’on aurait pu faire autrement.

La crise sanitaire entraîne d’autres crises : alimentaire, économique, … , dont les conséquences sont encore incertaines. Pour autant, on peut déjà déduire que ces différentes crises auront des impacts socio-économiques très forts sur les groupes déjà marginalisés et précarisés. Dont font largement partie les femmes et les femmes racisées.

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La triple journée

Les femmes*, et les femmes se situant à l’intersection de plusieurs discriminations, se trouvent donc particulièrement touchées par le confinement et les mesures mises en place pour faire face à la pandémie, dans un contexte où elles subissaient déjà des discriminations et oppressions systémiques. L’invisibilisation du travail du care où les femmes sont surreprésentées, et les coupes budgétaires successives au niveau du secteur de la santé en sont à cet égard un bon exemple.

Lorsque l’on souhaite analyser cette crise avec un focus genre, nous nous retrouvons face à un double problème : d’une part le «manque cruel d’études sur les conséquences des situations de crise en matière de santé publique pour divers groupes de population, dont les femmes et les filles» [3] sur lesquelles nous aurions pu nous appuyer aujourd’hui et d’autre part, la non-inclusion de la dimension genre dans les différentes collectes actuelles de données liées à la pandémie [4]. Notons à ce propos que cette non-prise en compte des femmes* et des femmes racisées dans les études et enquêtes n’est pas anodine et participe à renforcer les discriminations qu’elles subissent et à les invisibiliser.

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Confinement et sphère domestique

Dès le lendemain de la mise en confinement, les organisations féministes et associations d’action sociale ont rapidement tiré la sonnette d’alarme : pour les personnes subissant des violences dans leur ménage, la situation était alarmante car elles se sont retrouvées enfermées du jour au lendemain avec leur agresseur.

Dans les faits, avec le confinement, les violences intrafamiliales ont augmenté pour les femmes et les enfants, ainsi que pour les personnes queer et transgenres. La situation était d’autant plus critique que les associations sur le terrain et les centres d’aide ont vu leurs activités limitées par les mesures de lutte contre le virus, compliquant les possibilités d’aide et de soutien.

En Belgique, le nombre d’appels sur les lignes d’aide pour les violences intrafamiliales a doublé et 93 % des victimes sont des femmes. [5]

A nouveau, cette situation n’est pas neutre, car, comme le souligne Amnesty Belgique  [6] : «La crise du Covid-19 a [ainsi] révélé ce que les associations de terrain dénoncent depuis des années, à savoir le sous-financement du secteur de l’écoute et de l’accueil des victimes de violences conjugales et/ou sexuelle.» Le gouvernement a, depuis lors, mis en place un système d’alerte via les pharmacies.

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Travail domestique

Au sein des couples occidentaux hétérosexuels, une grande question a émergé : le confinement allait-il conduire à une meilleure répartition des tâches ? La présence égale des deux membres du couple dans le foyer peut-il mener à un partage égalitaire du travail domestique ? La présence égale des deux parents peut-il mener à un meilleur partage des tâches parentales ?

Avant que n’éclate la crise sanitaire liée au Covid-19, les femmes* consacraient en moyenne en Belgique plus de temps que les hommes aux tâches ménagères : 21h39 hebdomadaires, contre 13h36 pour les hommes, selon une enquête Statbel. [7]

Si l’on compare la différence entre les heures hebdomadaires consacrées aux tâches ménagères au sein des couples avec enfant, selon que les hommes et femmes soient occupé·e·s ou non (tableau ci-dessous), il apparaît que même lorsqu’un homme est « non occupée », il consacre proportionnellement moins d’heures aux tâches ménagères et soins des enfants qu’une femme dans la même situation.


Tableau 1 : heures hebdomadaires consacrées aux tâches ménagères au sein des couples hétérosexuels avec enfants, selon que l’homme et la femme soient occupé·e·s ou non, 2013. Source : Statbel

Tableau 1

Et, si l’on a pu constater ces dernières décennies une diminution de cette part hebdomadaire, cela ne coïncide pas avec une augmentation de cette part chez les hommes, mais plutôt avec les progrès technologiques (lave-vaisselle, aspirateur, etc.) et surtout avec une augmentation de l’exploitation des femmes racisées. Les femmes blanches consacrent encore aujourd’hui plus de temps que les hommes aux tâches ménagères, et lorsqu’elles parviennent à s’émanciper individuellement, c’est souvent sur le dos des femmes racisées. En effet, le travail gratuit des unes n’est donc pas celui des autres, comme le soulignait déjà dans les années 80 Bell hooks, féministe Afro-américaine, qui invite plutôt le mouvement féministe à repenser la nature du travail [8].

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Travail du care

Finalement, c’est un petit peu la même logique qui est étendue au secteur entier du care, ou travail du soin. On retrouve dans ce secteur rendu invisible, mal rémunéré et aux conditions de travail souvent précaires, une grande majorité de femmes*, et au sein de cette majorité, on trouve encore une hiérarchie des conditions entre les femmes blanches* et les femmes racisées*.

On l’a constaté dans la gestion de la crise, les métiers « en première ligne » face au virus sont majoritairement occupés par des femmes : aides-soignantes, infirmières, aides à domicile, aides ménagères, caissières, …

Selon l’Organisation mondiale de la santé, 67 % des prestataires de soins sont des femmes. En Belgique, les femmes représentent 80 % des travailleur·euse·s du secteur de la santé. Un secteur qui se caractérise aujourd’hui par des horaires difficiles (travail de nuit, en soirée et le week-end) et des conditions de travail éprouvantes [9].

Et au sein de ce travail de care, on retrouve surtout des femmes racisées*, là où les blanches ont parfois déserté des conditions de travail et une rémunération qu’elles pouvaient se permettre de refuser.

« Le fait de soigner, de se préoccuper, le relationnel, … Ce sont des activités ou un état d’esprit que la société attribue globalement aux femmes, comme un prolongement de leur fonction reproductive et ça correspondrait à une forme de nature. Alors que c’est en réalité une construction sociale qui commence dès le plus jeune âge pour les petites filles et que des femmes adultes payent souvent à un prix fort, précise Florence Degavre, professeure de socio-économie et études de genre à l’UCLouvain. » [10]

Au niveau de l’organisation de la solidarité et du travail bénévole, on retrouve également principalement des femmes*. Un autre exemple très frappant est celui des masques : face à la non action de l’Etat et aux risques non consentis couru par les travailleur·euse·s exposé·e·s, des bénévoles femmes* se sont mises à coudre les masques recommandés par les autorités, répondant à l’urgence. Et au final, les couturier·ère·s tant professionnel·le·s que bénévoles étaient les seul·e·s à ne pas avoir été rémunéré·e·s sur toute la chaîne de production de ces masques [11].

En fait, alors que les femmes ont été indispensables à la gestion de la crise, elles ont à nouveau été invisibilisées. On a applaudi nos « héros », le « personnel soignant » et reçu des experts, porte-paroles et spécialistes essentiellement masculins [12].

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Travail de reproduction sociale [13]

Une autre mesure gouvernementale qui a fort impactés les femmes* est la fermeture des crèches et des écoles. Alors que les femmes consacraient déjà plus de temps aux soins aux enfants, cette part a encore augmenté pendant la crise et l’écart à ce niveau entre hommes et femmes* s’est encore creusé. Les femmes ont dû, plus que les hommes, abandonner leur travail, le faire passer au second plan ou pratiquer le télétravail dans de moins bonnes conditions que les hommes, afin de rester disponibles pour les enfants [14].

Selon une étude de l’INED, seulement un quart des femmes françaises ont pu s’isoler pour télétravailler, contre 41% des hommes [15]. Et près de la moitié des femmes en télétravail ont passé au moins 4h supplémentaires par jour à s’occuper des enfants, contre un quart des hommes [16].

De plus, les mères ont dû faire « l’école à la maison », avec toutes les difficultés que cela a pu poser en termes de surcroit de travail, d’organisation, de compétences et d’informatique. Par ailleurs en Belgique francophone, une famille sur trois est monoparentale, et dans 80% des cas, le chef.fe de famille est une femme [17].

Être seul·e chef·fe de famille augmente la vulnérabilité et le risque de précarité : près de la moitié des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté.

A tout ce travail pris en charge par les femmes s’ajoute encore celui de la charge émotionnelle : les femmes* sont en général celles qui se soucient du bien-être de chaque membre de la famille et de l’entourage, organisant la solidarité autour d’elles.

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Droit à l’alimentation en temps de crise : une perspective féministe

Au niveau mondial, la crise liée à la pandémie de coronavirus affecte particulièrement les femmes, alors même que celles-ci jouent un rôle primordial dans la sécurité alimentaire des familles [18]. En effet, « devant consacrer plus de temps aux tâches liées aux soins aux personnes, elles sacrifient souvent leur emploi et leurs revenus, ce qui a un impact négatif sur le droit à l’alimentation de leur famille [19] ».

Nous répétons souvent au sein du réseau FIAN que ceux qui nous nourrissent sont ceux qui souffrent de la faim  et parfois, nous précisons qu’il s’agit pour une bonne part de celles. C’est notamment ce à quoi s’est attelé la 11e édition de l’Observatoire du droit à l’alimentation et à la nutrition, adoptant par ailleurs une approche féministe intersectionnelle et une démarche basée sur le droit à une alimentation et à une nutrition adéquates. La publication postule dès l’introduction que :

« les femmes continuent à souffrir de manière disproportionnée de la famine et à être occultées dans les systèmes alimentaires. Pourtant, et nous y voyons un paradoxe, malgré les tentatives visant à les séparer de leurs terres, les femmes restent majoritaires dans le secteur de la production alimentaire et du travail agricole. »

Cette crise a augmenté la précarité des femmes* déjà en situation difficile mais aussi le nombre de femmes* dans la précarité [20]. Cela représente une menace pour leur droit à une alimentation adéquate et à la nutrition.

Lorsque le gouvernement belge annonce par exemple qu’il est interdit de faire les courses avec ses enfants, il isole et précarise encore un peu plus les mères célibataires. Lorsqu’il ferme les marchés, c’est tout un pan de la société qui doit se réorganiser pour s’approvisionner différemment.

Finalement, c’est au niveau de l’aide alimentaire que la situation est la plus visible mais aussi la plus alarmante. Près d’un appel sur cinq au numéro bruxellois pour les urgences sociales concerne l’aide alimentaire [21]. Catherine Rousseau de la Fédération des Services Sociaux a dressé pour nous un bilan à chaud de l’aide alimentaire durant la crise, constatant que :

« le pauvre moyen en Région wallonne, c’est une femme. Ce sont les mères célibataires. »

Et ces mères célibataires se sont retrouvées dans une situation extrêmement difficile avec le confinement, enfermées dans des logements petits, parfois insalubres. Elles se sont retrouvées mères et maîtresses, devant faire l’école à la maison, souvent sans équipement informatique, parfois avec internet uniquement sur leur téléphone, ce qui rend ça impossible. Au niveau de l’aide alimentaire, ces femmes* ne venaient plus aux permanences chercher les colis. Elles se sont retrouvées bloquées chez elles.

Un autre groupe à avoir été impacté en Belgique dans son accès à l’alimentation, ce sont les travailleur·euse·s du sexe. Souvent sans statut cohérent avec leur activité et parfois sans papiers, il·elle·s ont dû cesser leurs activités du jour au lendemain, se retrouvant ainsi sans revenus et sans accès aux différentes aides sociales. Et certain·e·s ont donc dû se tourner vers l’aide alimentaire. On les a par exemple vu·e·s affluer aux distributions de repas ou de colis. Des associations comme UTSOPI (Union des Travailleur·euse·s du Sexe Organisé Pour l’Indépendance) ont également organisé au pied levé des distributions de colis, via les dons d’organisation humanitaire ou de particuliers ou en collectant les invendus.

De plus, la Belgique fait peser la responsabilité de nourrir sa population sur du bénévolat et la récolte d’invendus. Alors que le nombre de personnes ayant recours à l’aide alimentaire durant le confinement augmentait, beaucoup de services ont fermé, contraints par les mesures gouvernementales ou parce que les bénévoles sont souvent des personnes âgées, donc plus à risque.

Et Catherine Rousseau de conclure « Finalement ce qui s’est consolidé avec cette crise, c’est le colis, qui est la forme d’aide alimentaire la plus indigne ». Elle plaide pour sortir de cette dynamique pour une vision plus émancipatrice, ainsi que pour le soutien à une agriculture vivrière qui permette un prix juste pour les producteur·rice·s et les consommateur·rice·s.

Ainsi, le secteur de l’aide alimentaire appelle à l’ « [octroi] des chèques alimentaires aux personnes qui ne peuvent pas se nourrir assez et correctement, dans l’attente de l’augmentation des minimas sociaux ».

Une initiative dans ce sens est la création d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation, grâce à laquelle « chaque citoyen·ne recevrait de manière universelle une allocation individuelle à dépenser dans une alimentation qui respecte certaines normes de durabilité, définies de manière décentralisées  » [22].

Les femmes* sont les grandes perdantes de cette pandémie : que ce soient les mères célibataires, les caissières, les aides-soignantes, les femmes âgées, les femmes sans abri et celles sans papiers, …, la liste est très longue. Elles paient toutes un lourd tribut à cette crise. Et rien n’indique que la situation va s’améliorer pour elles.

Les femmes* étaient déjà nombreuses dans le rang des précaires, et leur nombre augmente encore. Leurs droits sont menacés et leurs conditions de vie se détériorent. Dès lors, le droit à l’alimentation de celles-ci se trouve fortement impacté. Une transition vers un système alimentaire plus résilient et plus inclusif est urgente et elle devra se faire en prenant en compte la situation spécifique des femmes.

Concluons avec les mots de bell hooks en 1984 : «Dans la mesure où de plus en plus de femmes sont confrontées à la débâcle du système économique existant, nous devons nous efforcer d’envisager de nouveaux programmes économiques tout en œuvrant à soulager la détresse économique des femmes à travers des réformes judicieuses» [23].

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