10 décembre 2020

Les contours d’une loi belge sur le devoir de vigilance des entreprises

La coalition belge présente son mémorandum

Avec plus de 30 organisations de la société civile, d’ONG et les 3 syndicats belges, FIAN Belgium a lancé un mémorandum conjoint sur la loi belge concernant le devoir de vigilance des entreprises. Le mémorandum résume les raisons pour lesquelles cette obligation est nécessaire et le cadre légal minimum pour qu’elle fasse réellement une différence. Ce mémorandum vise à alimenter le débat autour de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une telle loi. Le mémorandum a été présenté lors d’une table ronde virtuelle le 5 octobre 2020. Par la suite, des groupes de travail ont approfondi la réflexion sur le lancement d’une campagne spécifique à cette loi.

Des règles contraignantes sont nécessaires pour confronter les entreprises responsables de violations des droits de l’homme

Les entreprises belges et européennes opèrent librement par-delà les frontières nationales, et préfèrent s’établir là où les coûts et les taxes sont bas, les règles faibles et les obligations laxistes. C’est ce qu’on appelle un "climat d’investissement favorable". Dans leur compétition pour attirer ces entreprises, les gouvernements des pays producteurs démantèlent les réglementations visant à protéger les droits de l’homme, les droits du travail et l’environnement. Résultat : un nivellement par le bas.

La mondialisation et la déréglementation entraînent donc un dumping social, écologique et fiscal généralisé par les entreprises. La complexité des chaînes de valeur et des structures d’entreprise rend difficile, voire impossible, de tenir les entreprises pour responsables des violations des droits de l’homme qu’elles ont directement ou indirectement causées. Lorsque les choses tournent mal, les sociétés mères et leurs actionnaires ne sont généralement pas visé, alors qu’ils sont généralement aux commandes, ou ont la capacité, d’exercer leur influence sur les autres entreprises de la chaîne de valeur.

Les initiatives volontaires ne fonctionnent pas

Sous la pression des communautés affectées et des organisations de la société civile qui documentent, et tentent de porter devant les tribunaux, les fréquentes violations des droits de l’homme, plusieurs initiatives volontaires ont émergées, visant à encourager les entreprises à identifier et à prévenir les éventuelles violations des droits de l’homme. Toutefois, ces initiatives volontaires ne conduisent pas à une diminution des violations des droits de l’homme. En d’autres termes, une réglementation contraignante est nécessaire.

En outre, le droit international oblige les États à protéger les droits humains et à empêcher toute violation de ces droits par des tiers, en ce compris les entreprises. Plusieurs pays (tels que la France, l’Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas) ont déjà saisi l’opportunité d’introduire une législation dans ce domaine, ou du moins ont entamé le processus politique d’élaboration et d’adoption d’une telle législation.

Le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a annoncé que la Commission européenne élaborera une initiative législative sur le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et d’environnement d’ici 2021. L’élaboration et l’adoption immédiate d’une loi nationale permettrait à la Belgique, d’une part, de soutenir et d’influencer l’initiative européenne et, d’autre part, de préparer les entreprises belges à cette évolution.

Le mémorandum définit les lignes directrices de cette loi

Une loi efficace exige à la fois un devoir de diligence et un devoir de réparation. Une obligation de diligence raisonnable exige des entreprises qu’elles identifient, préviennent et remédient en permanence, aux risques de leur chaîne de valeur et de leurs filiales, et qu’elles en rendent compte publiquement. Le devoir de réparation rend les entreprises responsables des dommages et des violations dans leur chaîne de valeur ou par l’intermédiaire de leurs filiales. Sans un devoir de réparation distinct et indépendant, le devoir de diligence risque de devenir une procédure administrative cosmétique que les entreprises peuvent invoquer dans toute procédure judiciaire pour s’acquitter de leur responsabilité.

D’autres ingrédients essentiels ? Une loi doit s’appliquer à toutes les entreprises établies ou active en Belgique, quel que soit leur secteur ou leur taille. Bien que les attentes doivent être proportionnelles à leurs ressources et à leur influence. En cas de non-respect, les entreprises s’exposent à des sanctions administratives et peuvent être tenues civilement responsables.

Les détenteurs de droits et les organisations qui les représentent peuvent s’adresser directement à nos tribunaux et à un régulateur indépendant pour déposer une plainte. Dans l’exécution de leurs obligations, les entreprises doivent également tenir compte de la participation des détenteurs de droits pouvant être affectés par leurs activités.

En outre, il est primordial que la loi soit centrée sur les besoins et les droits des détenteurs de droits qui subissent aujourd’hui les conséquences négatives des activités commerciales. La voix des communautés touchées, des syndicats, des travailleurs et des petits agriculteurs doit être intégrée dans l’élaboration et la mise en œuvre de la loi.

Il est temps d’agir

Nous continuons à faire pression sur le monde politique pour qu’ils commencent à travailler sur cette loi. En parallèle avec le travail au niveau national, nous continuons à agir aux niveaux européen et international, car nous ne pouvons pas contrer l’impunité transnationale des sociétés, sur notre seul territoire. La solution réside dans l’interaction et la cohérence des trois niveaux d’intervention : national, international, et européen. Toutefois, une loi belge forte peut ouvrir la voie à des progrès sur la scène internationale.