#NoFoodInMyTank
Brûler de la nourriture pour faire tourner les moteurs de nos voitures est une mauvaise politique. Elle ne contribue pas à la réalisation des objectifs climatiques, bien au contraire. Elle conduit à la déforestation, à la perte de biodiversité et à des violations des droits de l’homme. Pourtant, les citoyens belges sont coincés dans cette politique.
Une carte blanche co-signée par Els Hertogen (directeur 11.11.11), Danny Jacobs (directeur, Bond Beter Leefmilieu), Valerie Del Re (directrice Greenpeace Belgique), Lodewijk De Witte (représentantde OXFAM Belgique), Florence Kroff (coordinatrice de FIAN Belgium), Bert De Somviele (directeur BOS+) en Sylvie Meekers (directrice Inter-Environnement Wallonie).
La politique des biocarburants est indéfendable tant sur le plan écologique qu’humain. Le terme "biocarburants" est totalement trompeur.
À chaque fois que vous faites le plein de carburant, il contient de la nourriture. Que vous le vouliez ou non. En 2018, nous avons consommé 800.000 tonnes de nourriture dans nos voitures en Belgique. Plus de la moitié provient de l’extérieur de l’Union européenne.
Un peu plus d’un quart provient de pays où les cultures destinées à la production de biocarburants, comme l’huile de palme et le soja, entraînent un accaparement massif des terres et de la déforestation : Brésil, Argentine, Paraguay, Indonésie et Malaisie. En partie à cause de cette déforestation, les biocarburants provoquent jusqu’à 80% d’émissions de CO2 en plus que les combustibles fossiles qu’ils remplacent, selon les analyses de la Commission européenne.
Ajoutez à cela la pression qu’ils exercent sur la sécurité alimentaire et vous comprendrez que la politique des biocarburants est indéfendable tant sur le plan écologique qu’humain. Le terme "biocarburants" est totalement trompeur.
Ne rien dire, c’est consentir
Plus le gouvernement fédéral met d’huile de palme et de soja dans nos réservoirs, moins la Flandre, la Wallonie et Bruxelles doivent installer d’éoliennes et de panneaux solaires.
La politique en matière de biocarburants est une responsabilité fédérale. Pourtant, l’accord de gouvernement fédéral n’en fait pas mention. Le fait que le gouvernement n’opte pas explicitement pour cette solution semble être une bonne chose. Mais en réalité, le choix a déjà été fait. Dans son plan national énergie-climat à l’horizon 2030, le gouvernement précédent a choisi de se concentrer majoritairement sur les biocarburants issus de cultures agricoles (dits de "première génération"). Le gouvernement fédéral doit absolument prendre des mesures concrètes pour sortir de cette politique.
Cela vaut aussi pour les régions. Des objectifs à atteindre dans le domaine des énergies renouvelables ont été fixés au niveau européen, et bien que l’Union européenne (UE) ne l’exige pas, elle autorise l’utilisation de biocarburants de première génération pour les atteindre. En conséquence : plus le gouvernement fédéral met d’huile de palme et de soja dans nos réservoirs, moins la Flandre, la Wallonie et Bruxelles doivent installer d’éoliennes et de panneaux solaires. La question "qui fait quoi ?" a provoqué d’âpres discussions entre les régions et le niveau fédéral. Résultat : comme solution de facilité, la Belgique prévoit un recours maximum aux biocarburants. Mais les régions, qui disposent de plus grands leviers pour aller vers une énergie 100% renouvelable et réellement durable, jouent également un rôle important pour mettre un terme à la politique destructrice et coûteuse des biocarburants.
Le gouvernement wallon met en garde contre leur impact négatif, notamment sur les femmes des pays du Sud.
Pas de nourriture dans le réservoir
Nous percevons des signaux contradictoires émanant des régions. Malgré l’importance accordée aux biocarburants dans le plan national, le gouvernement wallon met en garde contre leur impact négatif, notamment sur les femmes des pays du Sud. C’est principalement le gouvernement flamand qui a poussé à l’utilisation des biocarburants, mais l’été dernier, la ministre flamande de l’Environnement et de l’Énergie, Zuhal Demir, exprimait ses inquiétudes au Parlement flamand concernant "les effets potentiellement négatifs des biocarburants sur l’homme et la nature". Elle a ensuite demandé une évaluation approfondie de cette politique, en tenant compte notamment de son impact sur la concurrence alimentaire, la biodiversité et l’environnement.
Les biocarburants huile de palme et soja doivent être interdits, car ils sont les plus nocifs.
Pourtant, ces aspects sont quasiment absents d’une récente évaluation de la politique des biocarburants commandée par nos gouvernements. Quoi qu’il en soit, les chercheurs ont conclu que l’huile de palme et le soja, en particulier, devraient être interdits. Ils ont en partie raison : ces biocarburants doivent être interdits, car ils sont les plus nocifs. Ce serait un premier petit pas dans la bonne direction, mais cela ne sera pas suffisant. Le volume total de biocarburants que nous utilisons dans notre pays doit diminuer.
Stimuler la production européenne de biocarburants n’est pas non plus une solution : cela signifierait qu’il nous resterait moins d’espace pour notre propre production alimentaire et que nous devrions importer davantage de nourriture (ce qui affaiblirait notre souveraineté alimentaire). Et la quantité totale de surface agricole nécessaire au niveau mondial ne changerait pas, ce qui ne résoudrait donc pas les problèmes de pression sur les terres, la biodiversité et les forêts. Cela encouragerait l’intensification des cultures européennes destinées aux biocarburants, comme la betterave sucrière. Ce qui entraînerait notamment une utilisation accrue de pesticides, l’érosion des sols et la pollution de l’eau.
De vraies solutions pour le climat
Nous plaidons pour un arrêt de l’utilisation massive de biocarburants basés sur les cultures agricoles, et du soutien public démesuré qu’ils reçoivent à travers l’obligation fédérale d’incorporation dans les carburants automobiles. Au lieu de fausses solutions, il est temps de trouver de vraies solutions, telles que la modération de notre consommation énergétique, l’énergie renouvelable éolienne ou solaire, et la réduction des émissions provenant des transports. Cela implique, entre autres, de mettre progressivement fin à la vente de véhicules à combustion fossile, d’inverser la tendance à vendre des voitures toujours plus lourdes et plus puissantes (et donc énergivores) et de réduire considérablement le nombre de voitures-salaires en supprimant les larges subsides dont elles bénéficient (progressivement et avec compensations). Cela signifie également un engagement accru en faveur d’une infrastructure cyclable sûre et un service amélioré de bus, trains et trams. Tous les gouvernements de notre pays ont donc une responsabilité et un rôle à jouer dans ce dossier.
Cette carte blanche a été publiée le mardi 23 mars 2021 dans l’Echo à 10:03. Cliquer ici pour consulter l’article sur le site de l’echo