Semer le futur
Le 29 septembre à Herve, Pierre Rabhi était invité à donner une conférence dans le cadre de la journée Semer le futur.
Selon les dires de ce paysan philosophe, une telle conférence aurait réuni 20 personnes il y a 20 ans.
A Herve, mille personnes sont venues l’écouter. Un véritable succès remarquablement préparé et orchestré par onze associations locales et nationales toutes engagées pour un changement au niveau global, dont FIAN Belgium à travers le groupe local FIAN Welkenraedt.
Pierre Rabhi est né dans le sud algérien mais a été élevé en France par une famille française. Après quelques années de travail comme ouvrier dans une usine de la région parisienne, il remet en cause le modèle de compétition et de productivisme et choisit de devenir paysan pour vivre auprès de la nature, être en harmonie avec elle. Après un parcours du combattant, il parvient à acquérir une ferme modeste sur une terre rocailleuse en Ardèche.
Le travail était dur, les conditions de vie difficiles (13 ans sans électricité, peu d’eau, …) mais la beauté du lieu, le silence et l’air pur lui donnaient ainsi qu’à son épouse le courage de poursuivre et d’améliorer leur pratique d’une agriculture respectueuse de la nature. Après avoir traversé moult difficultés, la vie de la famille s’améliore : ils produisent du fromage de chèvre qu’ils vendent sur les marchés, cultivent fruitiers, légumes, oliviers, céréales, ont des poules. Se pose alors pour eux « la question de savoir si la réussite on la garde pour soi ou si on la partage ».
De nombreux jeunes tentés par la terre viennent alors apprendre chez eux (deux par deux) tout en les aidant.
Affilié au réseau AFDI (Agriculteurs français et développement international), Pierre Rabhi reçoit un jour un stagiaire burkinabé qui constate que, contrairement aux autres fermes par lesquelles il est passé, aucun produit chimique de synthèse n’est utilisé, que la terre n’est pas agressée. Suite à cela, Pierre Rabhi est invité au Burkina Faso à donner une conférence sur l’agriculture biologique à des cadres de l’administration qui travaillaient dans des centres de formation de jeunes agriculteurs, pour maintenir la jeunesse à la terre. Plusieurs hivers de suite, les travaux de la ferme ardéchoise étant au ralenti, Pierre ira au Burkina Faso propager l’agroécologie, un concept qui implique de lutter contre l’érosion des sols pour favoriser l’infiltration de l’eau de pluie, de régénérer les sols par des composts et des engrais verts, de respecter les cycles... mais aussi de privilégier les petites structures à taille humaine et diversifiées.
Pierre Rabhi a engagé sa vie « dans comment concilier l’humain avec la nature ». Il constate que dans notre monde,
« nous servons la mort plus que la vie… Le bien commun (terres, eau, semences qui sont indispensables à la vie) est confisqué... La terre est tellement ignorée, que tous les indicateurs internationaux montrent que l’on va vers une pénurie alimentaire mondiale. 60% des semences que l’humanité a collectées et capitalisées ont disparu… Des enfants meurent de faim et, pourtant, avec l’argent de quelques avions de chasse on pourrait faire beaucoup. »
Bien évidemment, il ne faut pas « se contenter de donner à manger. » Il faut « changer la logique dans laquelle nous sommes empêtrés … Le modèle que nous avons bâti ne peut pas durer… Ce modèle de société en donnant à l’argent la prépondérance absolue a mené à une impasse : la finance gouverne la planète… Il faut que l’humanité rassemble les consciences pour bâtir un monde viable pour tous. »
Pierre Rabhi tempête contre les OGM,
« un crime contre l’humanité : des chimères qui sont la cause de dégradations physiologiques importantes, de problèmes dans la nature, qui introduisent un hiatus dans le système de la vie car on ne peut pas les reproduire, un hiatus criminel. On n’a pas besoin d’OGM. Il faut protéger les espèces et variétés qui nous permettent de vivre. »
Pour faire comprendre l’importance du rôle de chacun/e, il raconte la légende amérindienne du colibri qui l’a beaucoup marqué : lors d’un incendie de forêt, le colibri va, pendant des heures, prendre avec son bec une goutte d’eau dans la rivière avant de la jeter sur le feu. Au tatou qui lui fait remarquer qu’il n’arrivera jamais à éteindre le feu, le colibri rétorque qu’il le sait mais qu’il fait sa part.
« Faire sa part - part de colibri - c’est ne pas croire que la part que nous faisons est insignifiante. »
Le message écologique n’est pas d’aujourd’hui. Et Rabhi de citer des « consciences qui depuis longtemps se sont éveillées et ont tiré la sonnette d’alarme sur le fait que nous étions en pleine dérive » : Fairfield Osborn, auteur de La planète au pillage, (chez Actes sud), « un livre fondamental de l’écologie que toute l’humanité devrait lire, » ainsi que Barry Commoner, Rachel Carson, Günther Schwab, Ivan Illitch.
Pierre Rabhi considère que « c’est l’être humain qui est le principal obstacle au changement …. Le monde changera quand nous nous changerons. Il ne peut pas y avoir de changement de société sans changement humain. Nous sommes interpellés à mettre de l’amour dans nos relations, de la compassion, de la bienveillance, pour une relation constructive et durable. »
Puis il ajoute : « La nature, c’est le bien suprême . On ne mourra pas de ne pas avoir de pétrole. Nous mourrons si la terre nourricière est détruite. Il faut aussi être dans la gratuité, apprendre à admirer. Pour moi c’est ça vivre. »
Le public de Herve gratifia Pierre Rabhi d’une longue standing ovation, avant d’écouter ses réponses aux deux seules questions que le temps permettait de poser. Pierre Rabhi devait en effet prendre peu après un train pour le sud de la France.
« On a le droit de ne pas appliquer l’agriculture imposée par l’Europe par des gens surdiplômés mais ignorants. Ma conscience me dit de respecter la terre. C’est urgent car le problème de la terre devient crucial. Si les directives de l’Europe ne sont pas justes, il faut les transgresser. »
« Le crash est déjà sur la planète : des gens ne mangent pas à leur faim, la misère est partout, même aux Etats-Unis... On a renoncé à l’humanisme. Nous récusons l’humanitaire car c’est corriger les manques de l’humanisme… Nous sommes installés dans un système de pompier pyromane... Il faut s’autolimiter… Il ne peut y avoir de paix sans le pain pour tous. »
M.T-P du groupe FIAN Welkenraedt