25 ans de lutte pour la souveraineté alimentaire : ce n’est qu’un début !
Pour lutter contre l’ultralibéralisme imposé aux producteurs agricoles, la Via Campesina a mis en mots le concept de souveraineté alimentaire il y a 25 ans. Un mouvement international paysan, dont le MAP se revendique, s’est bâti autour de lui. Aujourd’hui plus que jamais, face à la puissance destructrice de l’agro-industrie, unissons-nous pour conquérir notre souveraineté alimentaire !
- Via Campesina VS Organisation Mondiale du Commerce
- La souveraineté alimentaire, c’est quoi ?
- Des avancées, mais pas assez
- Choisir la résilience, maintenant !
- Scénario 1 : poursuite du système agro-industriel
- Scénario 2 : vers la souveraineté alimentaire
- Renoncer n’est pas une option
- Nous relier pour changer les règles !
- Les 4 axes vers la souveraineté alimentaire selon IPES Food
- Le credo du MAP
Via Campesina VS Organisation Mondiale du Commerce
La souveraineté alimentaire a été mise en mots pour la première fois au Sommet mondial de l’alimentation de 1996, par la toute jeune Via Campesina. L’enjeu, pour les organisations paysannes, était de proposer une alternative à la « libéralisation » du commerce des produits agricoles et à l’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation.
Ce milieu des années 1990 marque le début de la mondialisation d’une confrontation entre 2 visions de l’agriculture .
D’un côté, la mondialisation des politiques agricoles et de l’industrie agroalimentaire. Cette mondialisation s’accélère en 1994 avec l’accord sur de nouvelles règles du commerce international , accord qui débouche sur la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995.
Désormais, les prix payés aux producteurs vont chuter pour se rapprocher des prix pratiqués dans les échanges internationaux, et des régions vont se spécialiser dans des productions à bas coûts et à large échelle. Au Sud comme au Nord, cette vision ultralibérale favorise les très grosses « exploitations agricoles », qui sont largement subsidiées par les états du Nord.
De l’autre côté, des petits producteurs, pêcheurs, bergers ou peuples autochtones, qui représentent et nourrissent plus de la moitié de la population mondiale. Leurs méthodes, diverses, sont globalement beaucoup plus économes et respectueuses des ressources et des humains, mais demandent plus de temps de travail. Vivre de la vente de leurs produits devient toujours plus difficile, voire impossible.
Face au rouleau compresseur de la mondialisation, une vision commune a émergé entre certaines organisations paysannes : l’opposition aux règles de l’OMC et le besoin de faire entendre la voix des paysans. Cette prise de conscience a été à l’origine de la création de la Via Campesina, lors d’une rencontre internationale à Mons en 1993 .
La Via Campesina est aujourd’hui un mouvement qui rassemble 182 organisations locales et nationales dans 81 pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des Amériques, et représente environ 200 millions de paysan-ne-s.
La souveraineté alimentaire, c’est quoi ?
La Via Campesina définit la souveraineté alimentaire comme « le droit des personnes à produire de manière autonome des aliments sains, nutritifs, adaptés au climat et à la culture, en utilisant les ressources locales et par des moyens agroécologiques, principalement pour répondre aux besoins alimentaires locaux de leurs communautés ».
Elle défend le droit des pays à protéger leurs producteurs locaux des importations bon marché, et le devoir de ne pratiquer aucune forme de dumping à l’exportation.
Des avancées, mais pas assez
En 25 ans, le mouvement pour la souveraineté alimentaire a pris de l’ampleur et engrangé de vraies avancées.
Un Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) a été créé en 2003 . Il s’agit d’une plateforme mondiale qui rassemble plus de 6000 organisations et 300 millions de producteurs alimentaires et est destinée à faire avancer la souveraineté alimentaire aux niveaux mondial et régional.
Le Forum de Nyeleni en 2007 et le Forum sur l’Agroécologie en 2015, organisés au Mali, dans la localité de Nyéléni, ont permis de mieux organiser le mouvement, d’approfondir ses analyses et l’engagement dans une lutte commune.
Ce mouvement a su se faire entendre dans des espaces de gouvernance mondiale , notamment au sein du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale de l’ONU.
Malgré tout, l’agriculture industrialisée et mondialisée continue à gagner du terrain comme le montrent les accords commerciaux bilatéraux signés ou en négociation.
Dans l’urgence absolue, l’Union européenne développe de nouvelles stratégies (Green Deal, From farm to fork, Biodiversité…), qui vont dans la bonne direction mais se heurtent à de fortes résistances du lobby agro-industriel, comme on l’a vu ces derniers mois avec la nouvelle réforme PAC .
Derrière le vernis des mots (biotechnologies, agriculture intelligente, marché du carbone, etc.), on continue de s’éloigner des formes de résilience concrètes, solidaires et locales, pour remettre encore plus de pouvoir aux mains de quelques-uns, en augmentant notre dépendance technologique et énergétique…
Choisir la résilience, maintenant !
Un rapport d’IPES-Food publié en 2021, "Un mouvement visionnaire pour une alimentation durable" , envisage 2 scénarios possibles pour l’évolution des systèmes alimentaires mondiaux d’ici 2045.
Le constat de départ est brutal mais connu. L’humanité va continuer à être confrontée à des bouleversements climatiques et des dégradations de l’environnement de plus en plus graves : extinction de la biodiversité, épuisement des ressources, sécheresses… et inondations !
Mais le futur n’est pas tracé et dépend des choix que nous posons !
Scénario 1 : poursuite du système agro-industriel
Rien ne vient entraver le système en place et les tendances actuelles se confirment. L’agriculture est de plus en plus robotisée, numérisée, gérée par des formes d’intelligence artificielle, les protéines de laboratoire et les nouveaux OGM sont autorisés.
Les décideurs politiques sont démunis face aux bouleversements subis par nos systèmes alimentaires. Finalement, ils en donnent les clés aux nouveaux géants de l’agro-alimentaire : les méga-entreprises du bio-numérique, plateformes de données et sociétés financières privées.
Les systèmes alimentaires sont désormais totalement centralisés aux mains d’intérêts privés. « Efficaces » à court terme, ils sont techniquement et énergétiquement dépendants de ressources limitées, donc vulnérables.
Les agriculteurs disparaissent totalement, remplacés par quelques ouvriers gestionnaires. Certains pays mettent « terres, ressources et données entre les mains de ceux qui fournissent les technologies et proposent d’acheter leurs récoltes à l’avance ».
Une nouvelle vague d’accaparement des terres a lieu, et les circuits du commerce international sont militarisés.
Scénario 2 : vers la souveraineté alimentaire
Dans ce scénario, des acteurs de la société civile impliqués dans les mouvements alimentaires (des luttes autochtones aux anti-mondialistes) développent des collaborations plus efficaces, autour de 4 axes (voir encadré), pour faire progresser la souveraineté alimentaire.
Ce mouvement obtient que les « 4000 milliards de dollars de la chaine industrielle » soient réaffectés vers des pratiques soutenant la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. Des accords sont noués et des lois votées dans ce sens, pour faire face aux crises semi-permanentes.
Cette transition massive permet de réduire de 75% les gaz à effet de serre provenant des systèmes alimentaires. Les conditions d’alimentation de milliards de personnes sont mieux assurées.
La réussite de ce scénario suppose qu’un « mouvement pour une alimentation durable », de grande ampleur et uni autour d’une vision à long terme, se développe dès les années 2020.
Réaliser cela n’a rien d’évident et comprend beaucoup de défis, d’incertitudes et de risques de récupération !
Il ne sera pas facile de changer les règles du commerce international agricole, condition nécessaire pour changer les politiques agricoles, PAC comprise, et permettre aux multiples initiatives agroécologiques de devenir la règle.
Néanmoins c’est une voie d’espoir, et l’histoire montre que « quand les individus sont contraints par la nécessité (…) ils peuvent s’adapter presque du jour au lendemain ».
Renoncer n’est pas une option
Le monde paysan est exsangue. Partout en Europe les fermes disparaissent ; la Région wallonne a perdu plus de la moitié de ses agriculteurs en moins de 30 ans , les revenus de la majorité de ceux qui restent sont tout à fait insuffisants, et les fonds publics continuent à financer en grande majorité les (très) grosses exploitations.
Le MAP, à l’instar du monde paysan, est en position difficile. Il ne reçoit presque pas de soutien public et repose sur les énergies bénévoles de ses militants. Pour beaucoup d’organisations du mouvement, dégager les moyens nécessaires pour l’action politique et le travail en réseau est un défi.
Nos forces, même unies, restent dérisoires par rapport à l’importance et à l’urgence des enjeux. Elles semblent aussi bien faibles face aux énormes moyens humains, financiers et d’influence des géants de l’agro-alimentaire.
Mais renoncer n’est pas une option. Nous devons continuer à œuvrer à tous les niveaux, chacun avec nos moyens, malgré nos divergences de vues parfois.
Le MAP est d’abord une organisation locale, qui soutient les paysan-e-s et les initiatives de terrain, de fermes agroécologiques en comptoir fermier, de SPG en coopératives. Ces initiatives sont riches et nécessaires, il faut continuer à les faire vivre et à les diffuser le plus possible.
Mais pour réellement changer la donne, il ne suffit pas de rassembler les initiatives locales, au risque de se laisser enfermer dans les « niches » d’un marché alimentaire propre et éthique, mais limité à une petite partie de la population.
Nous relier pour changer les règles !
L’enjeu, c’est de mettre fin à la domination d’un modèle alimentaire industriel et marchand, d’une « machine à produire artificiellement au moindre coût, une machine à confisquer les savoir et savoir-faire, à enrichir les filières technologiques, à déshumaniser ».
Comme le souligne Gérard Choplin, co-fondateur de la Coordination européenne Via Campesina et expert en agriculture et commerce, « Pour faire bouger le monstre il faut changer le cadre, c’est à dires les règles du commerce international et les politiques européennes, dont la PAC ».
Nous relier autour d’objectifs communs clairs et ambitieux, que ce soit au sein d’Agroecology in Action (AiA) au niveau belge, ou de la Via Campesina, aux niveaux européen et mondial, peut nous faire gagner en puissance.
Comme nous l’avons fait au contre-sommet organisé cet été par la Via Campesina et ses alliés en réponse au Sommet des systèmes alimentaires de l’ONU sous contrôle des multinationales.
Comme dans cette déclaration signée par plus de 200 organisations de 67 pays, dont le MAP, appelant à "Transformer fondamentalement l’OMC " à l’occasion de sa réunion à Genève fin 2021.
C’est une vraie bataille pour l’avenir de l’alimentation qui est en cours.
Pour que la voie des paysans, de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire ait une chance de l’emporter, nous devons porter une voix politique unie et exiger avec force une vraie réforme des règles internationales !
Le credo du MAP
Le Mouvement d’action paysanne (MAP) a été créé en 1998 pour former une alternative aux systèmes agricoles capitalistes encouragés par les syndicats agricoles majoritaires. Il partage pleinement les valeurs de la Via Campesina, dont il est membre effectif depuis 2005 .
Nous défendons les droits des paysan-ne-s et la souveraineté alimentaire des peuples, au travers de la mise en pratique de l’agroécologie et en rapprochant paysanNEs, producteurs ruraux et artisans.
Nous croyons que conquérir notre souveraineté alimentaire, ici et partout, est indispensable pour rendre notre futur plus viable.
Nos actions : l’école paysanne indépendante l’EPI et son réseau de fermes-écoles (en lien avec le Réseau International des Fermes-Ecoles de la Via Campesina), développement des SPG (système participatif de garantie), participation à des actions militantes et plaidoyers en réseau en Belgique au sein du Resap et d’Agroecology in Action, et aux niveaux européen et international via ECVC et la Via Campesina. http://www.lemap.be/
Cet article fait partie du magazine "Beet The System ! : Réenchanter la souveraineté alimentaire". Les illustrations sont utilisées sous licence (CC BY 2.0)
Créé en 2017, "Beet the system ! est une publication annuelle de FIAN Belgium visant à offrir un espace d’expression aux voix multiples qui animent le Mouvement de la lutte pour la Souveraineté alimentaire depuis 25 ans : fianistas, agriculteur·rice·s, expert·e·s, militant·e·s de la société civile, etc.
(Re)-découvrez les éditions précédentes !