Dossier : Les acquisitions de terres à grande échelle en Afrique : Impacts, conflits et violations de droits humains
Le présent dossier sur les relations Afrique-UE fait partie d’une série de documents destinés à inscrire la bonne gouvernance foncière, les questions liées aux droits fonciers et la prévention des conflits portant sur des ressources au programme du partenariat Afrique-UE et à l’ordre du jour du prochain sommet UE-Afrique qui aura lieu en 2022.
- Introduction : l’accaparement des terres en Afrique
- Analyses de cas :
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L’accaparement des terres en Afrique
Ces deux dernières décennies, la demande de terres et de ressources naturelles s’est fortement accrue, en raison de la crise alimentaire mondiale de 2008 et des spéculations foncières qui ont suivi. Cet accroissement a provoqué une flambée des acquisitions de terres à grande échelle (ATGE) [1], un phénomène appelé en général accaparement de terres. Depuis 2000, pas moins de 25 millions d’hectares ont changé de main sur le continent africain [2].
Si elles sont pour l’essentiel le fait d’acteurs privés, les ATGE sont encouragées et soutenues financièrement par des gouvernements, tant ceux des pays du Sud, qui lèvent les obstacles à ces transactions foncières, que ceux des pays du Nord, dont un grand nombre les finance par le biais de leurs banques de développement publiques. Ce dossier politique porte en particulier sur un réseau complexe de bailleurs de fonds, tant des fonds d’investissement privés que des institutions européennes de financement du développement, qui ont financé directement ou indirectement de nombreux projets d’acquisition de terres en Afrique. Les communautés locales paient le plus lourd tribut de ces acquisitions, qui s’accompagnent de conflits et de violations des droits humains.
« Les institutions de financement du développement et leurs gouvernements nationaux doivent respecter les droits humains, agir de manière à tenir compte des conflits et assumer les conséquences à long terme de leurs activités »
Les défenseurs des ATGE les présentent souvent comme un moteur de développement pour l’Afrique, mais le passage à l’agriculture intensive et industrielle des plantations de monoculture qui est le corollaire de ces acquisitions a favorisé d’innombrables violations des droits humains et fait des ravages sur le plan social et écologique. En Afrique, des transactions portant sur 14,3 millions d’hectares n’ont pas abouti et les activités prévues n’ont soit jamais été mises en œuvre soit ont été abandonnées. Ces échecs laissent des marques et les cas de faillites et de transferts en cascade de la propriété de la terre ne font qu’augmenter l’insécurité dont souffrent les communautés qui vivent sur les terres en question ou à proximité. [3]
La majorité des ATGE ne respectent pas les droits humains, et notamment pas le principe primordial du consentement libre, préalable et éclairé lors de la négociation des contrats d’acquisition et des changements d’affectation des terres.
Les projets liés à la plupart des ATGE n’offrent pas non plus de garanties concernant les avantages offerts aux communautés locales, contrairement aux engagements souvent pris par les investisseurs. Le propre de ces transactions est de porter atteinte à la sécurité de la propriété foncière – l’expulsion de communautés rurales en étant souvent le corollaire – et de verser des indemnités insuffisantes, notamment aux communautés qui sont expulsées de leurs terres ou dont l’accès à celles-ci est réduit. En outre, il n’est pas rare que les ATGE conduisent à des litiges sur les ressources en terre et en eau et exacerbent les conflits, la violence et les divisions inter et intracommunautaires, ce qui peut mettre le feu aux poudres dans des zones fragiles en situation de conflit.
Les activités agricoles qui vont de pair avec les ATGE supplantent l’agriculture paysanne et suppriment donc des emplois. En contrepartie, les entreprises ne proposent généralement que des emplois de journaliers dans une plantation agricole, dans des conditions de travail souvent des plus précaires. La production d’aliments par les ménages et les communautés recule parce que les petit·e·s agriculteurs·trices, voués principalement aux cultures vivrières, sont privés de leurs terres au profit des entreprises qui privilégient les cultures de rente, ce qui accroît l’insécurité alimentaire. Par ailleurs, les plantations agricoles industrielles mises en culture à la suite des ATGE atteignent souvent des rendements à peine supérieurs à ceux des petit·e·s producteurs·trices de denrées alimentaires. En outre, il est prouvé que l’agriculture industrielle intensive cause des dommages écologiques, tels que la pollution et l’épuisement des ressources naturelles, ce qui réduit la fertilité des sols.
La teneur et la mise en œuvre déficientes des lois foncières créent des incitations perverses à la corruption et encouragent les efforts visant à saper les institutions démocratiques, de sorte que les normes internationales ne sont pas respectées, un phénomène favorisé par la culture de l’impunité et l’absence de systèmes de redevabilité qui caractérisent bon nombre de ces transactions. Du fait de l’absence d’accès significatif à la justice et aux mécanismes de réparation, les communautés ne disposent que de mécanismes d’examen des plaintes compliqués et inefficaces, qui sont souvent bloqués et s’inscrivent dans un contexte de répression, de violence et de méfiance.