La coopération belge en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire : bilan et perspectives
par Manuel Eggen et Florence Kroff (FIAN Belgium)
Résumé Exécutif
Dans la première partie, l’étude analyse le respect des engagements de la coopération belge. La Belgique s’était en effet engagée à consacrer 15 % de son aide publique au développement (APD) à l’agriculture en 2015 et la nouvelle loi de coopération de 2013 a confirmé le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire parmi les 4 principaux secteurs de concentration de la coopération belge. Une Note stratégique « agriculture et sécurité alimentaire » (2010) précisait les objectifs de notre coopération qui devait cibler en priorité l’agriculture familiale durable.
L’analyse des budgets de notre APD révèle que les montants liés à des projets d’agriculture et sécurité alimentaire ne représentent toutefois que €158,8 millions en 2015, soit à peine 9,28 % de l’ensemble de l’APD. Même si on ne prend en compte que la part de l’APD directement administrée par la DGD (qui représente environ deux tiers du total de l’APD), l’objectif n’est pas atteint (13,4 % des montants DGD en 2015). La non-atteinte des 15% promis pour le secteur de l’agriculture est également à analyser dans le cadre d’une baisse structurelle de l’APD belge. En 2015, l’APD ne représentait plus que 0,42% du Revenu national brut (RNB) alors qu’elle atteignait encore 0,64% en 2011. Ici également la Belgique fait défaut aux engagements qu’elle s’était fixée d’atteindre 0,7 % du RNB en 2010. Si on prend la référence des 0,7 % du RNB qui aurait du être atteint, dont 15 % aurait du être dédié à l’agriculture, la Belgique aurait du consacrer 433,2 millions d’euros au lieu des 158,8 millions actuellement.
Outre les données quantitatives, l’étude examine la cohérence de certains programmes et projets financés par la coopération par rapport aux objectifs de la note stratégique. Elle donne quelques exemples de projets qui s’inscrivent a priori dans les objectifs de soutien à l’agriculture familiale durable et qui sont mis en œuvre par différents acteurs de la coopération (CTB, ONG, institutions internationales). Ces exemples donnent un aperçu de la complémentarité des approches possibles au soutien à l’agriculture familiale durable. Mais l’analyse révèle également qu’une partie significative de l’APD dans le secteur de l’agriculture échappe aux orientations de la Note stratégique et sert davantage à financer des projets favorisant l’agrobusiness aux dépens des petits producteurs locaux. Des études de cas se penchent notamment sur des investissements de BIO, des projets de la Banque mondiale ou encore le financement de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique à travers l’Union européenne et la Région flamande. Dans certains cas, ces projets accroissent la pression sur les terres et les ressources naturelles et sont susceptibles d’engendrer des violations des droits des communautés locales sans qu’il existe de mécanismes pour assurer la cohérence par rapport aux objectifs de la coopération et au respect des droits humains.
La deuxième partie de l’étude, plus prospective, s’appuie sur les engagements du nouveau Ministre de la Coopération qui souhaite appliquer une approche basée sur les droits humains comme axe central de sa politique. Dans ce contexte, l’étude entend rappeler les fondements et les principes d’une approche de développement fondée sur les droits et examine comment ces principes pourraient être traduits dans les politiques et programmes en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire. L’étude formule une série de recommandations dans ce sens :
- La réalisation du droit à une alimentation adéquate doit être un objectif central de la nouvelle Note stratégique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire et nutritionnelle ;
- La nouvelle Note stratégique doit respecter les traités internationaux de droits humains et se référer explicitement aux instruments pertinents relatifs au droit à l’alimentation – en particulier les Directives sur le droit à l’alimentation, les Directives sur la gouvernance foncière, le Cadre stratégique global pour la sécurité alimentaire, les travaux des rapporteurs spéciaux sur le droit à l’alimentation et les recommandations du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale ;
- La Note stratégique doit veiller à ce que les principes d’une approche de développement basée sur les droits humains soient appliqués dans la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et programmes de développement – à savoir la participation, l’obligation de reddition des comptes (accountability), l’égalité et la non-discrimination, la transparence, la dignité humaine, l’habilitation des groupes marginalisés (empowerment), l’État de droit ;
- Une approche basée sur les droits humains demande de cibler les groupes marginalisés, particulièrement touchés par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. A cet égard le ciblage sur l’agriculture familiale et paysanne reste tout à fait pertinent dans la nouvelle Note stratégique ;
- Les obligations de droit international incombant aux États pour réaliser le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition leur imposent de réorienter leurs systèmes agricoles vers des modes de production hautement productifs et hautement durables. Dans ce cadre, la nouvelle Note devrait notamment soutenir les politiques publiques et les investissements qui appuient des systèmes agroalimentaires durables et l’adoption de pratiques agroécologiques ;
- La nouvelle note stratégique doit particulièrement veiller à mettre en place des mécanismes assurant une participation active des groupes-cibles, en particulier les organisations paysannes et les organisations de femmes et de jeunes, à tous les stades d’élaboration et de mises en œuvre des politiques et programmes de développement. Des mesures de renforcement des capacités spécifiques doivent assurer la pleine participation des détenteurs de droits ;
- Des analyses spécifiques doivent être réalisées afin de veiller à ce que les programmes de développement n’aient pas d’impact négatif sur les groupes les plus marginalisés (do no harm) et des recours doivent être accessibles pour les groupes qui s’estimeraient lésés par les programmes de développement de la coopération belge ;
- Le soutien au secteur privé doit permettre de lutter effectivement contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et doit s’effectuer dans un cadre réglementaire assurant le respect et la protection du droit à l’alimentation des groupes marginalisés. Dans cette perspective la note devrait cibler uniquement le soutien aux micros, petites et moyennes entreprises de l’agroalimentaire (coopératives paysannes, groupements d’intérêt économique en agriculture familiale, entreprises à finalité sociale dans le secteur agroalimentaire, etc.) qui sont constituées des détenteurs de droits et visent principalement le développement des marchés alimentaires locaux.
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