1.3 Droit à la terre : un droit humain
FIAN croit fermement que l’heure est venue d’affirmer le droit à la terre en tant que droit fondamental, afin de contrer les tendances actuelles à la dépossession des peuples de leurs ressources, de développer davantage le cadre international relatif aux droits humains et de fournir un puissant outil de soutien aux luttes des peuples pour le contrôle de la terre et des autres ressources naturelles. Mais quel serait le contenu de ce droit ?
Extraits du document de position de FIAN International intitulé « Le droit humain à la terre » [1]
- Une protection insuffisante des droits fonciers
- Encadré 1 : Définition du droit humain à la terre
- Les obligations de l’État en vertu du droit humain à la terre
- Le droit à la terre ne s’arrête pas aux frontières des États
Cet article fait partie de la publication Beet The System ! Droit à la Terre - Pour une agriculture paysanne et nourricière. Téléchargez-le gratuitement en cliquant ici !
Une protection insuffisante des droits fonciers
Le discours dominant concernant la terre et la gouvernance foncière considère les terres et les ressources naturelles connexes principalement comme des actifs économiques et financiers mondialisés. Les outils techniques tels que les statistiques, les calculs sur l’utilisation des terres et la productivité à partir d’images satellitaires, etc. servent à étayer cette vision, qui redéfinit fondamentalement la terre : elle y est considérée comme une ressource mondialisée, un investissement, plutôt qu’un bien naturel avec une forte composante locale, dont le contrôle et l’utilisation sont avant tout une relation sociale. De plus, une telle approche laisse penser que les investissements fonciers commerciaux et agro-industriels sous la forme d’acquisitions de terres sont non seulement bénéfiques, mais aussi nécessaires.
Pour faire face à cette vision dominante et extractiviste de la terre, le cadre de protection des droits humains est indispensable mais n’est actuellement pas suffisant. Malgré la sensibilisation et la reconnaissance croissantes du lien inextricable entre la terre et divers droits humains tels que le droit à l’alimentation, le droit au logement, le droit à l’eau, le droit à un niveau de vie adéquat, le droit de participer à la vie culturelle, le droit au travail, le droit à l’autodétermination et les droits des femmes, les normes internationales relatives aux droits humains ne garantissent à ce jour les droits fonciers que de manière limitée.
Le droit humain à la terre comble le vide normatif existant et permet aux normes internationales relatives aux droits humains d’évoluer, d’une approche instrumentaliste vis-à-vis de la terre (considérée comme un moyen pour la réalisation d’autres droits) vers l’affirmation de son autonomie en tant que droit fondamental, dans la mesure où la terre maintient la vie, construit l’identité et la culture. Le droit humain à la terre rappelle que la terre est d’abord et avant tout un bien commun que les communautés et les populations contrôlent, gèrent et utilisent sous différentes formes, afin de vivre une vie digne et en accord avec leur contexte social et culturel. Par là même, le droit humain à la terre soutient les populations qui en revendiquent l’accès et le contrôle, se défendent contre la dépossession, font valoir leurs droits et mettent en cause les États qui affaiblissent l’accès et le contrôle de la terre en prétendant qu’il existe d’autres moyens pour satisfaire les droits humains qui en dépendent. En tant que tel, il reconnaît, protège et garantit les divers régimes et droits fonciers, visant à les démocratiser partout où ils sont discriminatoires.
« Le droit humain à la terre comble le vide normatif existant et permet aux normes internationales relatives aux droits humains d’évoluer, d’une approche instrumentaliste vis-à-vis de la terre (considérée comme un moyen pour la réalisation d’autres droits) vers l’affirmation de son autonomie en tant que droit fondamental »
Encadré 1 : Définition du droit humain à la terre
Le droit humain à la terre, c’est : Le droit de chaque être humain à un accès effectif, une utilisation, et un contrôle – individuellement ou en communauté – sur la terre et les ressources naturelles connexes, afin de se nourrir, se loger, vivre et développer sa culture.
Le droit humain à la terre N’EST PAS :
- Un droit de propriété privée - La propriété privée n’est qu’une des nombreuses formes par lesquelles les individus et les communautés accèdent, utilisent et contrôlent les ressources foncières. Le droit humain à la terre reconnaît, protège et garantit cette diversité, assurant un accès et une utilisation sécurisés. Ainsi, il ne se réfère pas principalement à un droit d’acheter ou de vendre des terres.
- Le droit de faire du profit avec la terre - Le droit à la terre se limite à son utilisation par les individus et les communautés à des fins de subsistance ou de commerce, en particulier pour se nourrir et préserver leur culture. Bien que la relation entre les populations et le foncier comprenne une dimension économique (la terre comme moyen de production pour gagner sa vie, comme filet de sécurité, etc.), vivre dignement de la terre est fondamentalement différent d’en tirer un profit.
- Le droit à une terre lointaine : Le droit humain à la terre implique une dimension géographique qui privilégie le local et ne tolère pas le contrôle des terres lointaines par les propriétaires absents.
Les obligations de l’État en vertu du droit humain à la terre
Les États ont l’obligation immédiate en vertu du droit humain à la terre de veiller à ce qu’il soit exercé sans discrimination en ce qui concerne la jouissance, l’utilisation et la gestion des terres et des ressources naturelles. Les États doivent également accorder une attention particulière aux groupes traditionnellement discriminés, parmi lesquels les femmes, les peuples autochtones, les Dalits, les éleveurs nomades, les paysan·ne·s et travailleu·ses·rs sans terre, les personnes qui utilisent et gèrent les ressources naturelles grâce à des régimes coutumiers et les groupes marginalisés au sein des communautés rurales. Les États doivent par ailleurs s’abstenir de prendre des mesures qui pourraient entraver l’exercice du droit à la terre et aux ressources naturelles.
Les États ont l’obligation de respecter, protéger et donner effet au droit humain à la terre. En ce qui concerne leur obligation de respecter, les États doivent s‘abstenir d’interférer directement ou indirectement avec la jouissance de ce droit.
Cette obligation implique entre autres de :
- renoncer aux expulsions forcées ou à toute pratique ou activité qui entrave arbitrairement l’accès, l’utilisation et le contrôle des terres et des ressources naturelles par les populations (y compris dans les cas de transactions foncières, de programmes d’atténuation des changements climatiques, de politiques foncières et agraires, de projets de développement d’infrastructures, de mines etc.) ;
- définir clairement la notion légale d’utilité publique ; et
- reconnaître et respecter les droits et régimes coutumiers, ainsi que les ressources naturelles considérées comme des biens communs, afin de contrer les théories juridiques qui justifient la dépossession – quitte à réviser les droits nationaux de la propriété (y compris concernant l’investissement international et la protection des investisseurs).
Les États ont également l‘obligation de protéger l’accès, l’utilisation et le contrôle des terres par les populations en empêchant les tiers (particuliers, groupes, sociétés, ou même toute entité ainsi que les agents agissant sous leur autorité) d’interférer de quelque manière que ce soit avec la jouissance de ce droit.
L’obligation de protéger impose entre autres :
- d’adopter et appliquer les mesures législatives ou autres nécessaires pour réglementer les activités des tiers ;
- de réguler et sanctionner les tiers qui promeuvent ou participent à des expulsions forcées, dépossèdent les femmes de leurs droits, empiètent sur les droits coutumiers (par exemple les droits de pâturage, de collecte et d’usage) ou encore polluent et détruisent les ressources naturelles ; et
- de veiller à ce que les règles et les mécanismes régissant l’accès aux ressources naturelles ne fonctionnent pas de manière discriminatoire ni ne conduisent à la concentration du contrôle sur les ressources naturelles.
Afin de se conformer à leur obligation de donner effet au droit humain à la terre, les États sont tenus de garantir la jouissance sécurisée et durable de la terre et des autres ressources naturelles aux populations qui n’y ont pas ou peu accès, mais en dépendent pour la réalisation de leurs droits fondamentaux.
Cette obligation comprend :
- la mise en œuvre d’une réforme agraire si des individus ou des groupes vivent dans la pauvreté en raison d’un accès insuffisant à la terre et aux ressources naturelles ;
- l’attribution prioritaire des terres publiques et des autres ressources naturelles aux groupes marginalisés ;
- la reconnaissance et le soutien aux régimes fonciers coutumiers et collectifs des communautés ; et
- la restitution des terres et des ressources naturelles aux personnes marginalisées qui en ont été privées illégalement ou arbitrairement.
Les États sont également tenus de mettre en place des cadres politiques et juridiques garantissant la pleine réalisation du droit à la terre et aux autres ressources naturelles, tout en veillant à ce qu’ils soient développés et mis en œuvre de manière transparente, participative et inclusive. L’obligation de donner effet exige également que les États structurent et révisent le régime foncier chaque fois que cela est nécessaire, de manière à assurer une répartition juste et équitable des terres et des autres ressources naturelles.
En outre, ils doivent prendre des mesures pour promouvoir et protéger la sécurité de la propriété foncière, tout particulièrement en ce qui concerne les femmes (quel que soit leur état civil et matrimonial ou la présence d’un gardien ou garant masculin) et les autres groupes marginalisés et défavorisés de la société.
Les États sont tenus d’assurer l’égalité réelle des femmes en matière de jouissance foncière, par une stratégie globale de lutte contre les stéréotypes, les comportements et les pratiques discriminatoires qui entravent leur droit à la terre et aux ressources naturelles. Par conséquent, ils doivent organiser des systèmes administratifs et judiciaires efficaces, dont les autorités régulatrices agissent conformément aux obligations étatiques.
Enfin, les États doivent faciliter l’utilisation durable des ressources naturelles par, entre autres :
- l’adoption de politiques et de mesures pour renforcer les moyens de subsistance fondés sur les ressources naturelles ;
- la reconnaissance et la protection des usages traditionnels des terres et des ressources naturelles, en particulier lorsqu’ils utilisent peu d’intrants externes et sont bien adaptés aux conditions agro- écologiques et climatiques locales ; et
- l’adoption de politiques et de mesures qui renforcent la conservation à long terme de la terre et des autres ressources naturelles, dont l’agroécologie. Dans ce cadre, il convient d’aider les communautés et les personnes à s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique.
Les États ont de plus l’obligation d’assurer les conditions nécessaires à la régénération des capacités et des cycles biologiques, et devraient faire cause commune avec les populations afin d’améliorer la durabilité écologique de leur utilisation des ressources naturelles, en fonction de leurs droits, besoins, pratiques coutumières propres ainsi que de leurs conceptions de la justice sociale et environnementale.
Le droit à la terre ne s’arrête pas aux frontières des États
Le droit humain à la terre comprend également des obligations extraterritoriales qui font référence aux obligations des États de respecter, protéger et donner effet au droit à la terre dans d’autres pays. Ces dernières requièrent que les États s’abstiennent d’actions qui interfèrent, directement ou indirectement (y compris par le biais de politiques sur le commerce, l’investissement, l’énergie, l’agriculture, le développement et l’atténuation des changements climatiques), avec la jouissance des droits fondamentaux. À cet égard, les évaluations des répercussions sur les droits humains (HRIA), qui analysent et révisent régulièrement les accords, lois, politiques et pratiques afin de s‘assurer qu’ils n’affectent pas négativement les droits fondamentaux, constituent une mesure importante.
Les États doivent également établir les mécanismes réglementaires nécessaires à garantir que les entreprises privées (y compris les multinationales) et les autres acteurs non étatiques soumis à leur droit national, ne nuisent pas à la jouissance du droit à la terre dans d’autres pays, et en soient le cas échéant tenus responsables. Les États doivent également veiller à ce que leurs accords internationaux – dans le domaine du commerce, de l’investissement, des finances, de la coopération au développement et des changements climatiques – n’aient pas d‘impacts négatifs sur le droit à la terre dans d’autres pays. Leurs obligations extraterritoriales obligent enfin les États à veiller à ce que leurs actions en tant que membres d’organisations internationales, dont les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et les banques régionales de développement, ne nuisent pas à la jouissance du droit à la terre et aux ressources connexes.