2.2 Des terres agricoles pour l’agriculture en Flandre !
Les terres agricoles en Flandre sont sous pression. Encore plus qu’en Wallonie les prix des terres sont prohibitifs et les terres agricoles sont largement détournées vers des usages non-agricoles. Face à cette situation il devient urgent de construire un mouvement social fort en Flandre pour réclamer l’accès à la terre pour les paysans.
- Détournement des terres agricoles
- Difficultés d’accès à la terre en Flandre
- Une initiative citoyenne pour l’accès à la terre
- Réclamer des changements politiques
- Conclusion
Détournement des terres agricoles
« Des terres agricoles pour l’agriculture ! » Cette déclaration semble probablement évidente pour beaucoup, mais dans le paysage flamand d’aujourd’hui, c’est une déclaration dérangeante, voire subversive. Parce que plus d’un quart des terres agricoles en Flandre sont utilisées à d’autres fins que l’agriculture. Et je ne ne fais pas référence à des pratiques étranges, à des situations obscures, ni même nécessairement à des activités polluantes. L’utilisation anormale des terres agricoles semble tout à fait ordinaire : sur plus d’un quart des terres agricoles flamandes, des chevaux ou des moutons se promènent, et des enfants jouent. Bref, c’est tout à fait courant.
Dans le secteur de l’aménagement du territoire, deux néologismes récents ont émergé pour décrire ce phénomène, qui reste difficile à mesurer en raison de l’absence de données précises. On parle de la chevalisation des terres (verpaarding), qui occuperait aujourd’hui environ 19 % des terres agricoles, et de la jardinisation (vertuining), qui occuperait environ 8 %.
L’organisation Paardenpunt Vlaanderen [le lobby du secteur des chevaux, NDLR] ne nie pas le phénomène de chevalisation, mais il ne le considère pas comme un problème. Après tout, l’élevage de chevaux est un secteur très rentable, contrairement à l’agriculture. Quel serait donc le mal ?
Difficultés d’accès à la terre en Flandre
Le problème se situe sur plusieurs fronts. Le nombre d’agriculteurs [1] en Flandre ne cesse de diminuer, les exploitations deviennent plus grandes, les petites fermes disparaissent. Le secteur agricole flamand actuel est davantage axé sur les économies d’échelle, la spécialisation et l’utilisation d’intrants (pensez aux engrais, aux produits phytosanitaires, aux aliments pour animaux importés), que sur les pratiques agro-écologiques. Un bon nombre de personnes, souvent non issues du milieu agricole, sont désireuses de mettre en pratique des méthodes agroécologiques dans leur propre ferme. Mais elles ont besoin de terres pour le faire.
Aujourd’hui, les terres agricoles en Flandre sont devenues si chères que les nouveaux arrivants dans l’agriculture peuvent difficilement y avoir accès. En effet, la demande de terres agricoles est élevée, et pas seulement pour les usages agricoles, comme nous l’avons expliqué ci-dessus. En moyenne, un hectare de terre agricole coûte environ 63 000 euros. En réalité, les prix demandés de 100 000 euros et plus ne sont plus inhabituels. Surtout en Flandre occidentale et à Anvers, et près des grandes villes. Même avec un plan d’affaires prévoyant une modeste superficie de 2 hectares de cultures maraîchères diversifiées - un plan de démarrage typique pour une entreprise visant les circuits-courts - un nouveau venu dans de nombreuses régions doit faire face à un coût de départ de 200 000 euros pour le foncier. Aucune banque ne prêtera de l’argent pour cela. Après tout, cette somme ne pourra jamais être récupérée par la culture de légumes au cours d’une carrière.
La location, alors ? Malheureusement, le bail agricole a mauvaise réputation auprès des propriétaires fonciers. En tant que propriétaire foncier, demandez conseil à n’importe quel notaire et il vous dira que vous ne devez absolument pas signer de bail. La loi actuelle sur le bail agricole donne aux propriétaires le sentiment qu’ils ont « perdu » leurs terres. En effet, pendant longtemps, parfois pendant des générations, le bail sur la terre peut être transmis du locataire à ses enfants. De plus, les revenus locatifs sont plafonnés par la loi et plutôt faibles comparé au marché immobilier. Enfin, en tant que propriétaire, vous ne pouvez pas exiger qu’un agriculteur adopte ou s’abstienne de certaines pratiques. Si, en tant que propriétaire, vous êtes soucieux de l’environnement et souhaitez que l’agriculteur en place investisse dans la fertilité naturelle des sols et évite les pesticides, vous pouvez entamer des discussions, mais vous ne pouvez rien imposer.
Cela place les nouveaux venus dans l’agriculture, ainsi que les agriculteurs établis, dans une position difficile. Le capital le plus essentiel de leur entreprise, les terres agricoles, s’avère de plus en plus inaccessible. Et ce n’est pas une bonne chose pour notre secteur agricole. Après tout, les agriculteurs ont 54 ans en moyenne. Et 87 % des chefs d’exploitation de plus de 50 ans n’ont pas de successeur. Le capital social dans le secteur agricole est visiblement en train de disparaître, tandis que les nouveaux arrivants (dont nous avons tant besoin), semblent se tenir devant une porte close. Cela réduit également les chances d’une transition vers une agriculture agroécologique.
Une initiative citoyenne pour l’accès à la terre
Des terres agricoles pour l’agriculture. C’est la mission que s’est fixée le mouvement citoyen De Landgenoten. En tant que fondation et coopérative, De Landgenoten achète des terres agricoles pour les agriculteurs agro-écologiques, en utilisant des dons citoyens et des parts sociales des coopérateurs. Les agriculteurs qui s’inscrivent à De Landgenoten, qu’il s’agisse de nouveaux arrivants non issus du milieu agricole ou d’agriculteurs déjà établis, obtiennent un accord sur les terres pour toute leur carrière. Cela leur permet d’investir en toute sérénité dans des sols résilients, dans le soutien de la biodiversité, dans des plantations d’arbres et d’arbustes dont ils pourront bénéficier eux-mêmes au cours de leur carrière.
Beaucoup d’entre eux - à juste titre - ne se considèrent pas comme le dernier utilisateur de la terre et viennent à De Landgenoten pour s’assurer que « leur » terre, à la fin de leur carrière, soit transmise à un autre agriculteur biologique. De cette façon, nous investissons ensemble, citoyens et agriculteurs, dans des terres agricoles qui peuvent être transmises à la prochaine génération, riches en humus.
Réclamer des changements politiques
Dès sa création, De Landgenoten s’est fixé comme objectif de contribuer à faire bouger les choses sur le terrain. Par nous-mêmes, seuls et de manière pragmatique. Mais après huit ans d’existence, le temps était venu pour nous d’agir également sur le plan politique. FIAN a également ressenti ce besoin. Sous l’égide et la direction de Voedsel Anders [NDLR : réseau de la société civile flamande qui travaille pour l’alimentation durable et l’agroécologie], FIAN et De Landgenoten ont rédigé un dossier politique sur l’accès à la terre en Flandre [2]. Ce dossier circule aujourd’hui parmi les députés et le personnel politique. Le dossier contient un grand nombre de recommandations, certaines évidentes, d’autres plus audacieuses.
Toutes ont été discutées et confrontées avec un groupe de chercheurs, d’agriculteurs et de responsables politiques. Ces recommandations visent résolument à promouvoir l’accès aux terres agricoles pour les agriculteurs agroécologiques. Chaque recommandation s’inspire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans (UNDROP), qui consacre l’accès à la terre comme un droit essentiel pour les paysans (art. 17) et qui reconnaît que les terres agricoles sont une ressource limitée et une base essentielle pour la production alimentaire locale et le droit à l’alimentation.
Six objectifs majeurs structurent le dossier politique. La lutte contre l’utilisation inappropriée des terres via la chevalisation [3] et la jardinisation [4], comme expliqué ci-dessus, ne constitue qu’un des six objectifs. La Flandre manque cruellement de chiffres. L’enregistrement et l’analyse de la manière dont les terres agricoles sont vendues, louées et utilisées constituent donc une autre recommandation très importante pour le gouvernement flamand. À un stade ultérieur, nous aimerions voir le gouvernement flamand travailler en tant qu’acteur réglementaire. Est-ce que cela deviendra un jour une réalité ?
En outre, la Flandre ne peut pas être à la traîne de la Wallonie et un renouvellement de la loi sur le bail agricole devient urgent [NDLR : La Wallonie a adopté une réforme de la loi sur le bail à ferme en 2019]. Ce n’est pas une tâche facile étant donné les nombreuses parties prenantes. Nous devons espérer que les décideurs politiques, lorsqu’ils évaluent les droits et devoirs mutuels des utilisateurs et des propriétaires fonciers, n’oublient pas que les terres agricoles sont plus qu’un bien économique. Les terres agricoles correctement gérées et riches en humus permettent l’infiltration des eaux souterraines et réalimentent les nappes phréatiques. Elles contribuent à prévenir les inondations en cas de précipitations extrêmes et à retenir l’eau (plus longtemps) en cas de sécheresse. Des sols sains permettent de stocker le carbone et s’érodent moins. Les terres agricoles locales permettent une production alimentaire locale. Des raisons suffisantes pour sensibiliser les utilisateurs et les propriétaires à des objectifs ambitieux et socialement pertinents.
Enfin, étant donné que de nombreuses villes et communes, provinces et CPAS possèdent des terres, nous préconisons sans équivoque d’utiliser les terres publiques comme levier pour une agriculture plus agro-écologique. Pour une participation inclusive également afin de mettre en place des stratégies alimentaires locales permettant d’atteindre des objectifs écologiques et sociaux. Les terres agricoles saines s’avèrent être un outil puissant et polyvalent pour atteindre pas moins de 9 des 17 Objectifs de développement durable des Nations unies (ODD).
FIAN et De Landgenoten, et avec eux Voedsel Anders, ne sont que quelques-uns des acteurs qui tentent d’influencer la politique concernant l’accès aux terres agricoles pour les agriculteurs agro-écologiques. D’autres acteurs essaient de se faire entendre, comme par exemple le mouvement paysan Boerenforum, qui mène une campagne « Grond voor voedsel » [des terres pour l’alimentation] [5], et le mouvement citoyen Hongerige stad à Gand qui essaie d’empêcher la vente de terres publiques par la Ville et de favoriser leur mise à disposition pour des projets d’agriculture sociale et nourricière [6]. Ensemble, nous essayons de créer un mouvement social pour réclamer l’accès à la terre en Flandre qui peut faire écho à un mouvement similaire en Wallonie et dans d’autres pays européens.
Conclusion
Les terres agricoles sont sous pression. Il en est ainsi en Flandre, en Europe et dans le reste du monde. Avec de petites différences locales à chaque fois, et des similitudes évidentes. Dans le monde entier, les agriculteurs doivent se battre pour maintenir leur accès à la terre. Ce numéro du Beet the system témoigne de divers mouvements citoyens qui abordent et traitent ces questions. Laissez-vous inspirer pour agir vous-même.
Cet article fait partie de la publication Beet The System ! Droit à la Terre - Pour une agriculture paysanne et nourricière. Téléchargez-le gratuitement en cliquant ici !