Brésil : les biocarburants continuent leur macabre essor
Depuis l’arrivée des multinationales de l’agro-industrie, le sort du peuple Guarani-Kaiowá est plus incertain que jamais. Pour ces Indiens du Sud du Brésil, l’extension des plantations de sucre de canne destinées à la production d’éthanol est devenue synonyme de pauvreté, de malnutrition, de violence et de suicide. Leurs conditions de vie sont dramatiques. Que dire à une mère qui vient de perdre son enfant pour cause de malnutrition ? Que leur terre, source de vie, leur a été extorquée pour nourrir les voitures du monde occidental ?
Le Brésil est le premier producteur mondial de biocarburants. Ensemble, les Etats-Unis et le Brésil contrôlent 70% du marché mondial de l’éthanol. La production d’éthanol au Brésil se fait à partir de canne à sucre. Cette production a des impacts dévastateurs tant au niveau de l’environnement que vis-à-vis des populations indigènes vivant près des plantations. À côté de l’usage intensif de pesticides
et de fertilisants que les plantations de canne à sucre nécessitent, les impacts sur la santé proviennent également du brûlage systématique des champs entre les récoltes. Mais ce que les Indiens réclament depuis des décennies, c’est leur terre.
« L’indien, c’est la terre »
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette expression vient du gouvernement brésilien. La Constitution brésilienne reconnaît depuis 1988 ce lien particulier unissant les Indiens à leur terre et pourtant, rien n’a réellement changé. La constitution proclame depuis maintenant 20 ans que tous les territoires indiens seront démarqués en 1993. Non seulement ce texte fondamental est pratiquement
resté lettre morte, mais en plus c’est à la même période que les expulsions des Indiens de leurs terres ancestrales au profit des multinationales ont été les plus radicales.
Pointé du doigt par la communauté internationale pour ne pas respecter les droits des peuples indigènes, le Brésil a alors établi un programme d’aide alimentaire en distribuant des paniers de vivres ou cesta básica. Ne bénéficiant plus d’assez de terres pour pouvoir subvenir à leurs besoins alimentaires, les Guarani dépendent aujourd’hui de cette « aide » gouvernementale.
Cette maigre compensation inquiète Carlitos (le chef de la communauté des Guarani-Kaiowá dans le Mato Grosso do Sul) : « Est-ce qu’il y aura encore une cesta básica pour nos enfants ? Qui est-ce qui nous donnera à manger dans 10 ans ? ». En pointant du doigt la terre sous ses pieds, celui-ci rajoute : « Voici notre cesta básica. Seule la Terre peut nous garantir de la nourriture ».
Quand l’histoire se répète
La lutte des Guarani-Kaiowá pour leur terre est aujourd’hui centenaire. C’est au début du siècle passé que les autorités ont décidé de déplacer les Indiens dans des réserves. Depuis ce jour, et de manière encore plus systématique depuis les années 70, les Guarani-Kaiowá se sont fait expulsés de force de leurs terres pour laisser place libre aux monocultures de soja et aux élevages de bétail destinés à
l’exportation.
Comme le relève Egon Heck du CIMI (organisation de défense de la cause des Indiens) : « La situation des Kaiowá dans le Mato Grosso do Sul est la plus désespérée de tout le pays. Les Indiens d’ici sont ceux qui ont le moins d’espace par habitant. Un bovin dispose de plus de place qu’eux ».
Depuis les années 90, les Guarani-Kaiowá font bloque face au processus d’appauvrissement et de dépossession auquel ils sont soumis depuis des décennies. Leur détermination à protéger leurs droits sur leur terre a déclanché des conflits fonciers sans précédent avec les milices privées des grands propriétaires. Plusieurs dirigeants indigènes ont été tués lors de l’occupation pacifique de leurs terres
ancestrales. Durant la seule année 2007, on recense plus de 30 assassinats d’indiens Guarani-Kaiowá, qui découlent tous de conflits fonciers.
L’esclavage moderne
Autrefois agriculteurs sur leurs propres terres, les Guarani-Kaiowá sont aujourd’hui contraints d’aller chercher du travail ailleurs pour nourrir leur famille. Au grand bonheur des producteurs d’éthanol qui voient en eux une main d’oeuvre bon marché et inépuisable. Travail exténuant, salaire indigne (moins de 10 euros par jour), baraquements insalubres, horaires inhumains (de 12 à 14 heures par jour), les
conditions de travail frisent l’esclavage.
Si ce travail leur est devenu indispensable pour survivre, il n’en reste pas moins un enfer. La paye est en général au rendement. Un ouvrier travaillant dans les plantations coupe en moyenne 10 à 12 tonnes quotidiennement, contre 4 tonnes du temps de l’esclavage. Du temps de l’esclavage, le travail était deux fois moins dur.
Le droit à l’alimentation
Les Guarani font partie de ces 854 millions de personnes sur terre qui ne mangent pas à leur faim. Non pas à cause d’une catastrophe naturelle ni de la pauvreté du pays, mais parce que le gouvernement brésilien fait passer les intérêts privés de quelques multinationales avant les droits humains des populations indigènes. « L’accès à suffisamment de terre fertile est crucial pour ce peuple », conclut Jonas Vanreusel (coordinateur de FIAN Belgique). « Au vu des accords internationaux des Droits de l’Homme, le Brésil doit respecter le droit à l’alimentation et le sous-
continent a des terres à revendre. Le Brésil veut être un producteur d’éthanol exemplaire ? Alors qu’il arrête d’abord de dissimuler la misère des Guarani-Kaiowá comme s’il s’agissait d’un “dommage collatéral” ».