10 juillet 2018

Trois questions sur la réforme de la PAC

Une version courte de l’article est disponible dans le supplément "Fokus Agri & Food" du Vif/L’Express de Juillet 2018. A consulter ici.

Question 1 : Dans les différentes réformes de la PAC, quelles sont celles qui vont directement toucher l’agriculteur ?
Un des objectifs de la PAC, depuis son entrée en vigueur en 1962 vise spécifiquement à « assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ». La réalisation de cet objectif a toutefois évolué en fonction des réformes successives de la PAC. Jusque dans les années 90’ la PAC visait principalement à soutenir la production agricole et à assurer des prix minimums garantis aux agriculteurs. Certaines mesures visaient également à stabiliser les prix du marché et à protéger les agriculteurs européens face aux importations bon marché. A partir des années 90’ la PAC s’est progressivement alignée sur les règles de l’OMC et du commerce agricole mondial. L’accent a été mis sur la libéralisation du marché agricole et le renforcement de la compétitivité des exploitations agricoles européennes. Les systèmes des prix garantis et de régulation de marché ont été remplacés par un système de paiement direct aux agriculteurs. Les principales conséquences ont été : une orientation du secteur agricole vers les marchés d’exportation (ceux dont l’UE dispose d’un avantage comparatif), et une disparition des petites fermes au profit d’exploitations de plus en plus grandes. L’exemple de la Belgique est assez illustratif : entre 1980 et 2016, nous avons perdu 67% de nos fermes !

La PAC 2015-2020 a poursuivi les réformes de libéralisation en mettant fin aux derniers systèmes de régulation du marché, notamment via l’abandon des systèmes de quotas (les quotas laitiers ont été abandonnés fin mars 2015 et les quotas sucriers en octobre 2017, ce qui a accentué la volatilité des prix de ces matières agricoles), entrainant de nouvelles crises, particulièrement dans le secteur laitier. La PAC se résume donc aujourd’hui essentiellement à une distribution de primes (paiements directs). En outre, depuis 2003, et encore plus depuis la dernière réforme, ces primes sont assorties de nouvelles conditionnalités environnementales (mesures de verdissement), certes indispensables, mais qui soumettent les agriculteurs à de nouvelles contraintes, sans que les aides ne soient augmentées en conséquence. La part de la PAC dans le budget européen ne cesse d’ailleurs de diminuer (passant de plus de 70% du budget européen dans les années 80’ à environ 35% à l’heure actuelle). La répartition de ces primes dans le cadre d’un budget en diminution constitue à présent l’essentiel des débats autour de la nouvelle réforme de la PAC post 2020.

A cet égard, La Coordination européenne Via Campesina, regroupant des syndicats agricoles de petits producteurs, revendiquent des répartitions plus équitables, permettant de corriger les inégalités. Pour mettre fin à la disparition des fermes et soutenir une activité agricole diversifiée sur les territoires, élément essentiel de la vitalité du monde rural, la PAC devrait mettre en place des primes dégressives en fonction de la taille de l’exploitation et des aides privilégiant l’emploi dans les fermes plutôt que des aides liées aux nombres d’hectares (qui favorisent les grandes exploitations). Mais dans la nouvelle proposition 2021-2027, présentée par le Commissaire européen Phil Hogan, le 11 juin dernier à Strasbourg, le plafonnement des aides reste à des niveaux trop élevé et ne permet pas de favoriser les petites fermes.

De manière plus générale, la Via Campesina demande des politiques publiques de régulation et de contrôle de la production, seules capables de faire face aux crises du marché, à la volatilité des prix des matières agricoles et à la concentration du pouvoir aux mains de l’agroindustrie. La proposition de la Commission va toutefois dans une autre direction en privilégiant des aides spécifiques et des systèmes assurantiels pour faire face aux crises de marché et aux événements climatiques.

Enfin, l’une des principales orientations de la nouvelle réforme vise à donner plus de marge de manœuvre aux Etats-membres dans la mise en œuvre de la PAC. Cela peut permettre de mieux adapter les mesures de soutien par rapport au contexte national ou régional, mais cela comporte le risque de morceler la PAC et de renforcer encore les inégalités entre les agriculteurs de l’Union. En effet, selon Via Campesina (ECVC), représentant les petits producteurs : « Même s’il existe un cadre européen d’objectifs communs, ce degré de fragmentation et de subsidiarité qui est donné aux pays va creuser les différences entre les agriculteurs de l’Union européenne, entre les conditions de production, les conditions de travail et les différences économiques ainsi que la distorsion du fonctionnement du marché unique au niveau européen, créant des compétences dérivées de la distribution des aides de la PAC. [1] »

Question 2 : Comment la PAC touche-t-elle le consommateur final ?
L’un des objectifs de la PAC vise à « assurer des prix raisonnables pour le consommateur ». La PAC reste toutefois principalement focalisée sur les aspects de marchés agricoles et de soutien aux agriculteurs et concerne finalement assez peu le consommateur. Cet objectif compte essentiellement sur un approvisionnement à bas prix sur les marchés internationaux. Certaines mesures dites du deuxième pilier [2], consacré au développement rural, peuvent néanmoins être utilisées pour favoriser les productions locales, les marchés locaux, les outils de transformation et le soutien aux circuits-courts entre producteurs et consommateurs. C’est le cas par exemple de certains Groupes d’action locale (GAL), cofinancé par le deuxième pilier de la PAC et les régions, qui développent des projets de dynamisation territoriale autour de l’agriculture et des circuits-courts.

Mais d’autres aspects importants pour le consommateur tels que la sécurité alimentaire et sanitaire des aliments, la transparence et l’étiquetage, ou les aspects de nutrition-santé lié à l’alimentation font l’objet d’autres politiques spécifiques au niveau européen. L’aide alimentaire a également été dissociée de la PAC depuis l’arrêt du programme européen d’aide au plus démuni (PEAD) en 2014.

Cette sectorisation des politiques liées à l’alimentation est regrettable et ne permet pas d’adopter une approche globale des systèmes alimentaires. Dans ce sens, de nombreux experts et membres de la société civile en appellent au développement d’une Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC) permettant de faire le lien entre les aspects de production agricole, de consommation, de santé, d’environnement, d’emploi, etc. Dans cette perspective un grand forum sur l’alimentation et l’agriculture (EU Food and Farming Forum – EU3F) a été organisé à Bruxelles les 29 et 30 mai afin de développer des propositions politiques concrètes pour opérer une réelle transition vers des systèmes alimentaires durables et une politique alimentaire intégrée.

Une Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC) a pour ambition de rallier les citoyens aux agriculteurs avec comme ambition commune une alimentation de qualité se basant sur une agriculture agroécologiquement intensive, locale et pourvoyeuse d’emplois agricoles. Cette PAAC devra réorienter les actions politiques vers les demandes des citoyens : un étiquetage obligatoire des produits alimentaires transformés, le refus du retour des protéines animales transformées (PAT), une politique européenne forte des protéines végétales, le développement de la recherche et l’innovation pour les différents systèmes de culture (interdiction des néonicotinoïdes et du glyphosate), refus des OGM, interdiction de vente à perte, transparence des prix et des marges, faire prévaloir l’exception agricole auprès des autorités de la concurrence, etc.

La société civile s’est donc montrée très critique vis-à-vis des orientations des précédentes réformes de la PAC, qui ne remettent pas en cause le modèle productiviste agro-industriel dominant en Europe. L’UE reste encore trop sourde aux recommandations internationales qui prônent une transition urgente vers l’agro-écologie, avec des modèles de production durables, résilients et respectueux du droit à l’alimentation des citoyens.

Question 3 : Comment peut-on envisager le futur de l’agriculture en Belgique avec la PAC ?
La politique agricole commune (PAC) devrait servir davantage les citoyens, les territoires et les paysans. Pour cela, elle devrait avoir pour objectif de garantir une alimentation saine pour tous et un revenu pour les agriculteurs égal à celui du reste de la population grâce à des prix stables et équitables. Elle devrait également veiller à assurer une transition vers une agriculture durable, économiquement stable et résiliente face aux changements climatiques, permettant d’assurer notre souveraineté alimentaire.
Seule une PAC disposant d’un budget suffisant et développant des outils ambitieux de régulation publique permettrait de réorienter le modèle agricole industriel, imposé par les accords de libre-échange, vers des systèmes agricoles et alimentaires sains, durables et résilients qui protègent et créent des emplois dans les zones rurales et protègent l’environnement et les animaux.

L’un des défis principaux qui a été identifié par les mouvements paysans, tant en Belgique que dans l’ensemble de l’Europe, est d’arriver à concilier et atteindre les objectifs de la PAC alors que l’Union européenne conclut des accords de libre-échange qui engendrent toujours plus de volatilité et de nouvelles baisses de prix pour les paysannes et paysans, et cela sans garantir dans le même temps un meilleur budget dédié à l’agriculture, ni un plan sérieux pour la distribution de l’aide.

C’est pourquoi les représentants du secteur agricole [3] plaident pour le maintien voire l’augmentation du budget PAC global et demandent une plus grande équité.

Dans le contexte actuel de libéralisation accrue du commerce, de taux plus élevés d’instabilité, des prix plus bas pour les agriculteurs et du budget réduit, cela semble très compliqué d’envisager d’atteindre les objectifs de la Commission, tels que lutter contre le changement climatique, garantir la sécurité alimentaire, protéger l’environnement, créer une économie circulaire, développer des zones rurales et répondre à la problématique des faibles revenus des agriculteurs.

Pour que la future PAC soit un succès, il faudrait stopper l’élimination des paysannes et paysans, la diminution des revenus, le dépeuplement, le manque de nouvelles personnes entrant dans le secteur agricole, l’amplification du système agricole et alimentaire industriel et son impact environnemental, la perte d’emplois, la détérioration de la santé et la violation du droit fondamental des paysans et des travailleurs agricoles : le droit à une vie digne.

Dans sa proposition actuelle, la Commission européenne met non seulement en danger l’avenir des agriculteurs et des systèmes alimentaires européens, mais met également en péril la cohésion de l’Union européenne.

Par Manuel Eggen et Astrid Bouchedor (FIAN Belgium)