Assises wallonnes de la terre
A l’invitation du Ministre W. Borsus, FIAN Belgique publie ses recommandations pour la protection des terres agricoles et l’accès à une agriculture paysanne et nourricière, respectueuse de la nature en Wallonie. Ces recommandations se basent sur les propositions présentées durant les Assises et les principales directives internationales en matière de droits humains, et l’expertise spécifique de FIAN sur les enjeux fonciers en Belgique.
1. Recommandations principales
2. Présentation de FIAN
3. Analyse de contexte : Principaux enjeux pour l’accès à la terre en Wallonie
1.1 Gérer |
1.2 Transmettre |
1.3 Préserver |
1.1 Gérer
a) Une politique foncière « nourricière »
FIAN se réjouit de la volonté annoncée lors des Assises de développer une politique foncière wallonne. Cette politique complétera utilement le Code wallon de l’agriculture. Elle devra définir comment le gouvernement entend atteindre les principaux objectifs du Code wallon notamment en vue de « conserver les surfaces affectées à la production agricole et contribuer à la baisse de la pression et de la spéculation foncière (...), et d’encourager et soutenir l’installation des jeunes » (Code wallon de l’agriculture, art. 1§3).
Pour FIAN la politique foncière devra également définir des mesures pour assurer la fonction nourricière des terres agricoles wallonnes, autre priorité définie par le Code wallon : « La fonction principale de l’agriculture wallonne est la fonction nourricière, en réponse aux besoins essentiels des citoyens » (Code wallon de l’agriculture, art. 1§3).
La dimension nourricière était trop peu présente lors des débats des Assises, alors pourtant que les recherches récentes montrent que la Wallonie est très dépendante des importations de nourriture et qu’une grande partie de nos terres cultivées est principalement destinée à l’alimentation animale, à la production d’énergie et aux filières agro-industrielles d’exportation (voir ci-dessous).
b) Créer un Organisme de régulation du foncier agricole
Afin de mettre en œuvre une politique foncière ambitieuse, la Région devrait se doter d’un Organisme de gestion et de régulation du foncier agricole. L’analyse comparative au niveau européen présentée lors des Assises a démontré que l’existence d’un organe de régulation du foncier (du type des SAFER en France), disposant de larges compétences (droit de préemption avec possibilité de révision des prix, contrôle des structures, etc.), était la mesure la plus efficace pour endiguer la flambée des prix et prémunir le marché foncier agricole des pratiques spéculatives.
Sans organisme régulateur, les tendances observées ces dernières années [1] sur le marché foncier wallon vont s’accentuer et vont rendre l’accès à la terre de plus en plus difficile pour les petits agriculteurs, les jeunes et les nouveaux agriculteurs.
La Région wallonne peut déjà mettre en œuvre les outils de régulation prévus au Code wallon de l’agriculture (Titre XI, Chapitre IV) et elle peut s’appuyer sur les marges de manœuvres laissées aux États-membres de l’UE par rapport à la libre circulation des capitaux [2].
c) Gestion des terres publiques et moratoire
FIAN se réjouit que la gestion des terres publiques figurent parmi les propositions des Assises de la terre. Il s’agit d’une priorité essentielle. La bonne gestion des quelques 60.000 ha de terres publiques est un élément clé pour favoriser l’accès à la terre en vue d’une agriculture paysanne nourricière et de la transition agroécologique. En attendant l’adoption d’une politique claire de gestion des terres publiques, nous demandons la mise en place d’un moratoire sur la vente des terres publiques, comme cela a été fait par exemple par la Ville de Gand.
1.2 Transmettre
a) Meilleure application du bail à ferme
Le bail à ferme est le principal outil d’accès à la terre en Wallonie. La modernisation du bail à ferme conclue en 2019 a été un enjeu essentiel, qui a mobilisé de nombreux acteurs pendant plusieurs mois pour tenter de trouver un équilibre entre protection des droits des agriculteurs et intérêts des propriétaires. Mais ces efforts risquent d’être mis à mal par le fait que de nombreux propriétaires fonciers tentent de contourner le bail à ferme jugé trop contraignant. Le Bail à ferme doit être la norme pour la location des terres agricoles et les exceptions doivent être encadrées et dûment justifiées. Des sanctions (notamment fiscales) devraient être prévues pour décourager les stratégies d’évitement du bail à ferme.
Les propositions d’amélioration du bail à ferme proposées lors des Assises (bail de projet et bail de transition) peuvent être envisagées mais ne doivent pas remettre en cause les droits des agriculteurs. Les améliorations éventuelles du bail à ferme devraient surtout veiller à répondre aux orientations de la politiques agricoles wallonnes vers la souveraineté alimentaire et la transition agroécologique.
b) Service d’accompagnement à la transmission des fermes
La transmission des fermes wallonnes est l’un des défis les plus importants de la prochaine décennie. Nous demandons la création d’un organisme ou d’un service spécifique, disposant de moyens suffisants, pour accompagner les cédants et les repreneurs dans un objectif de promotion d’une agriculture « familiale, à taille humaine, rentable, pourvoyeuse d’emplois » (Code wallon de l’agriculture, art. 1§2).
1.3 Préserver
a) Mise en œuvre du Schéma de développement territorial
FIAN se réjouit de la présentation du projet de nouveau Schéma de développement territorial. Nous analyserons plus dans le détail si ce projet permet d’assurer une protection efficace contre l’artificialisation des terres agricoles. Pour l’heure, nous recommandons que le processus d’adoption du nouveau SDT soit assuré dans les meilleurs délais tout en veillant à assurer une bonne concertation citoyenne, et en particulier des organisations paysannes et environnementales.
Parallèlement à l’adoption du SDT, nous demandons un arrêt immédiat de tout changement d’affectation des terres agricoles aux plans de secteur, sauf cas d’exception d’intérêt général dûment motivé et entièrement compensé.
Plus globalement Nous demandons également une hausse de l’ambition de l’engagement « stop béton » bien avant 2050. Les rapports du groupe d’experts sur l’artificialisation ont en effet montré que les espaces disponibles pour le logements et les zones d’activités économiques étaient largement suffisants pour répondre aux besoins, si une bonne politique d’aménagement du territoire était mise en place.
2. Présentation de FIAN
2.1 FIAN Belgique |
2.2 Normes et standards de Droits humains en matière de Droit à la terre |
2.1 FIAN Belgique
FIAN Belgique, membre de FIAN International, est une organisation internationale de droits humains qui travaille à la réalisation du droit à l’alimentation et à la nutrition à travers le monde. FIAN est une organisation sans but lucratif, indépendante de tout gouvernement, idéologie politique ou religion. FIAN International et ses membres disposent d’un statut consultatif auprès des Nations-Unies depuis 1989.
Dans le cadre de ses activités en Belgique, FIAN s’intéresse particulièrement à la défense des droits des paysan·ne·s tels que consacrés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant en milieu rural (UNDROP, 2018) et à la protection des ressources naturelles, dont la terre.
Les recommandations que nous formulons dans le cadre de ces Assises se basent donc sur les principales normes et directives internationales en matière de droits des paysans et de gouvernance foncière ainsi que sur nos précédentes recherches et analyses, notamment :
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FIAN Belgium, « Pour un meilleur accès à la terre en Belgique et en Europe : Difficultés et opportunités pour une gouvernance foncière responsable ». 2014. | FIAN Belgium, « Pressions sur nos terres agricoles : Face à l’artificialisation des sols, quels leviers d’action ? ». 2017. | FIAN Belgium, « Droit à la terre : Pour une agriculture paysanne et nourricière ». Magazine annuel Beet the system. 2022. |
2.2 Normes et standards de droits humains en matière de droit à la terre
En tant qu’organisation de droits humains, FIAN souhaite insister sur le fait que la préservation des terres agricoles et leur mise à disposition pour l’agriculture paysanne n’est pas seulement une nécessité environnementale ou une opportunité politique, mais bien une obligation qui ressort des droits humains. L’arsenal juridique international de protection de l’accès à la terre s’est largement renforcé ces dernières années [3].
La Belgique a d’ailleurs été spécifiquement pointée du doigt par les instances de droits humains des Nations-Unies : « Le Comité est préoccupé par les informations à sa disposition faisant état des difficultés rencontrées par des petits agriculteurs en Belgique, particulièrement les jeunes agriculteurs (…). Le Comité recommande à l’État partie de protéger la petite agriculture en Belgique et de mettre en œuvre les plans visant à sa préservation. Le Comité recommande également à l’État partie de tenir compte (…) des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, adoptées en mai 2012 par le Comité de la sécurité alimentaire de la FAO, qui préconisent l’adoption de mesures spécifiques de soutien aux petits agriculteurs » [4].
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant en milieu rural adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018, consacre également le droit à la terre des paysans (art. 17) et définit une série de mesures à prendre par les États.
3. Analyse de contexte : Principaux enjeux pour l’accès à la terre en Wallonie
3.1 Étalement urbain et artificialisation des terres
La Wallonie se caractérise par un taux élevé d’artificialisation des sols. Les plans de secteur, adoptés dans les années 70’ et 80’, ont favorisé l’étalement urbain, principalement aux dépens des terres agricoles. Entre 1985 et 2021, les terrains artificialisés ont progressé de 44,6 %, ce qui correspond à une croissance moyenne de 15,6 km2/an, soit 4,3 ha/jour [5]. La Wallonie est en tête de tous les indicateurs d’étalement urbain au niveau européen avec des surfaces urbanisées par habitant deux à trois fois plus élevées que dans les pays voisins (voir graphique 1).
À l’heure actuelle environ 50.000 hectares de superficie agricole utile (SAU) se situent encore en zone constructible et sont donc directement menacés par l’urbanisation [6]. D’autre part, les révisions des plans de secteurs se font presque toujours en faveur des zones urbanisables (zones d’habitat, zones d’activités économiques) et aux dépens des zones agricoles, malgré les promesses de compensation.
Graphique 1 : indicateurs d’urbanisation
La Wallonie a pris l’engagement de freiner l’étalement urbain et puis de stopper l’artificialisation des sols à l’horizon 2050 (engagement « optimisation spatiale »). Un groupe d’experts « artificialisation » a été mis en place par le Gouvernement wallon et a été chargé d’analyser des trajectoires et de proposer des pistes d’actions. En octobre 2022, le ministre Borsus a annoncé un projet de réforme du Code de développement territorial. Et un projet de réforme du Schéma de développement territorial wallon a été présenté lors des Assises de la terre.
Ces mesures récentes semblent être des pas qui vont dans la bonne direction. Mais les projets doivent encore être approuvés et mis en œuvre. Et quoiqu’il en soit, l’engagement de stopper l’artificialisation d’ici à 2050 se limite au minimum imposé par l’UE et semble fort éloigné au vu de l’urgence des enjeux environnementaux et de protection des terres agricoles en Wallonie (la Flandre a par exemple pris un engagement « stop béton » pour 2040).
3.2 Explosion des prix du foncier
Face à un étalement urbain non maîtrisé et à la spéculation, les prix des terres agricoles s’envolent, particulièrement dans un petit pays densément peuplé, comme la Belgique. D’autres facteurs contribuent également à pousser les prix du foncier vers le haut :
- les primes de la Politique agricole commune (PAC) qui restent encore largement liées aux surfaces agricoles plutôt qu’au soutien à l’emploi, ce qui contribue à gonfler artificiellement les prix du foncier ;
- l’achat de terres agricoles par des sociétés agricoles, des grands groupes agroalimentaires, des acteurs de la grandes distribution [7], voire par des acteurs financiers étrangers au monde agricole (fonds spéculatifs), qui renforce la concurrence sur le marché foncier.
Conséquence : les terres agricoles en Belgique sont les deuxièmes plus chères en Europe après les Pays-Bas. Et les prix continuent d’augmenter fortement ces dernières années, alors que les revenus du secteur agricole stagnent. D’après les données de l’Observatoire du foncier agricole wallon, dont il faut saluer la création en 2017, les prix des terres agricoles non bâties ont augmenté de 28,4 % en 5 ans passant de 27.205 €/ha en 2017 à 34.945 €/ha en 2021 [8]. Bien que ces données doivent être analysées avec prudence, car elles ne reflètent pas toujours les prix réels (évitement de l’impôt et pratique du « chapeau ») et qu’il existe de fortes disparités entre les régions et les situations, elles confirment en tout cas une évolution inquiétante et un prix de la terre de plus en plus délié de sa valeur agronomique.
Pour contourner les difficultés d’achat de terres, les agriculteurs peuvent recourir à la location via le bail à ferme, qui a été modernisé en 2019 et qui s’applique encore à la majorité de l’occupation des terres agricoles wallonnes. Le bail à ferme permet d’offrir une certaine protection aux agriculteurs, notamment via une régulation du prix du fermage et une sécurité d’occupation. Mais on constate une tendance de plus en plus fréquente des propriétaires fonciers à éviter le bail à ferme. Les raisons sont multiples : (1) bénéficier d’un revenu plus élevé que le fermage notamment via des contrats avec des sociétés de gestion de terre ; (2) maintenir la valeur financière du bien (une terre sous bail à ferme perd environ 30% de sa valeur financière ; mais aussi (3) l’impossibilité pour nombre de bailleurs (notamment publics) de stipuler un cahier des charges agroécologique et de s’assurer de sa mise en œuvre effective.
3.3 Concentration des terres et disparition des petites fermes
Les prix des terres agricoles sont devenus inaccessibles pour des jeunes et nouveaux entrants dans le secteur agricole. Seules les plus grandes exploitations disposent d’un capital suffisant et ont accès aux crédits nécessaires pour investir dans le foncier, ce qui contribue à la concentration foncière et la disparition des fermes. Ce phénomène est responsable d’une des plus grandes pertes d’activités et d’emplois en Wallonie ces dernières décennies. 66 % des fermes wallonnes ont disparu depuis 1980 (soit plus de 25.000 fermes). Dans le même temps, la surface moyenne des exploitations a plus que triplé.
Graphique 2 : Disparition des fermes en Belgique (1980-2021)
Par ailleurs, un grand défi attend le secteur agricole étant donné le vieillissement de la population agricole. En 20 ans, la proportion de personnes de plus de 55 ans est passée de 40% à près de 55% et seuls 6 % des agriculteurs ont moins de 35 ans [9]. Une majorité des agriculteurs partiront donc à la retraite dans les dix prochaines années et la plupart se déclarent sans repreneur. Si aucune politique volontariste n’est menée pour faciliter l’accès au foncier et la transmission des fermes, le phénomène de concentration des terres et de disparition des fermes se poursuivra et la Wallonie ne comptera plus que quelques milliers de méga-exploitations de plus en plus industrialisées.
3.4 Détournement des terres nourricières
Malgré que le Code wallon consacre que « la fonction principale de l’agriculture wallonne est la fonction nourricière, en réponse aux besoins essentiels des citoyens » (article premier du Code wallon de l’agriculture), de nombreuses terres agricoles sont détournées de leur fonction nourricière et sont davantage orientées vers les exigences de l’agroindustrie et les filières d’exportation.
Graphique 3 : Principales destinations des céréales en Wallonie
À titre d’exemple, la culture de céréales (qui représente plus de la moitié des terres cultivées en Wallonie) est destinée principalement à l’alimentation animale, à la production d’énergie (agrocarburants) et à l’exportation. Seules 9 % de nos céréales sont destinées à l’alimentation humaine (voir graphique 3). Parmi les autres cultures principales en Région wallonne on retrouve : des cultures fourragères (maïs, trèfles, …) ; les pommes de terres (principalement destinées à l’exportation sous forme de frites surgelées) ; les betteraves sucrières (voir graphique 4).
Seuls 2,5 % de la surface agricole est consacrée aux légumes. La spécialisation de notre agriculture sur quelques cultures fourragères ou d’exportation nuit à notre résilience et notre souveraineté alimentaire et n’est pas cohérente avec les recommandations nutritionnelles, qui recommandent de manger plus de fruits et légumes et de légumineuses, et moins de viande et de produits caloriques. La corrélation entre utilisation des terres et (mauvais) régime alimentaire apparaît ainsi évidente.
Enfin, il faut noter qu’une partie des terres agricoles n’est pas mise en production par les propriétaires (rétention foncière à titre de loisir ou à des fins spéculatives) ou que les terres sont utilisées à des fins non agricoles (prairies pour chevaux, loisirs, cultures de sapins de noël, etc.).
3.5 Des terres agricoles publiques qui ne servent pas les objectifs de la transition agroécologique
Graphique 4 : Principales utilisations des surfaces agricoles en Wallonie
Malheureusement on constate :
- une tendance à la dilapidation des terres publiques par les institutions locales pour obtenir des liquidités [11] ;
- une absence de politique et de gestion des terres publiques ; et
- l’absence d’outils permettant aux propriétaires publics (notamment pouvoirs locaux) d’exercer une politique foncière active en faveur de pratiques agroécologiques [12].