Beet The System !

Introduction

« Ils voulaient nous enterrer, mais ils ne savaient pas que nous étions des graines »

 [1]

Cette année, ce nouveau numéro du Beet the System ! se focalise sur la criminalisation des défenseur.euse.s des droits humains, et en particulier du droit à l’alimentation. Vingt-cinq ans après l’adoption de la Déclaration sur les défenseur·se·s des droits humains, la situation de celles et ceux qui militent pour l’environnement et l’alimentation reste dramatique : ils·elles sont les plus criminalisé.e.s au monde. Parallèlement, l’espoir qu’avait fait naître l’après-covid et la réouverture de l’espace civique après les mesures de confinement s’est vite éteint face aux nouvelles restrictions de la contestation sociale.

Ces dernières années, on assiste à une montée des régimes autoritaires et un déclin des régimes démocratiques, ce qui restreint de facto l’action et la place laissée à la société civile [2]. Par voie de conséquence, les défenseuses et défenseurs des droits humains (DDH) font face à toujours plus de représailles lorsqu’ils et elles agissent pour défendre les droits fondamentaux. Et, toutes les organisations internationales le soulignent, au niveau mondial la tendance que l’on connaît maintenant depuis des années se confirme : les défenseur.euse.s du droit à la terre et à l’environnement, que nous appellerons dans ce numéro « les défenseur.euse.s du droit à l’alimentation », sont les plus ciblé.e.s et criminalisé.e.s au monde.

Un pays sur deux connaît un déclin démocratique, qui se traduit par des élections biaisées ou encore des atteintes aux libertés d’expression et de rassemblement. En 2022, pour la sixième année consécutive, le nombre de pays enregistrant un déclin net était supérieur au nombre de pays enregistrant une progression nette » [3].

Dans la première partie du Beet the System !, nous voulions analyser cette tendance au niveau mondial pour tenter de la comprendre et de, in fine, contribuer à la protection et la défense de celles et ceux qui se battent pour les droits de tou.te.s. Les chiffres globaux font froid dans le dos : en 2022, 401 défenseur.euse.s ont été tué·e·s dans 26 pays à cause de leur travail pacifique [4]. Et ce chiffre reste largement sous-estimé et ne représente que la pointe de l’iceberg. Beaucoup d’autres meurent pour leur combat dans l’anonymat. Par ailleurs, à côté des assassinats, qui représentent la forme la plus radicale, d’autres stratégies de criminalisation sont utilisées par les états et les acteurs économiques pour faire taire les luttes sociales.

En 2022, Frontline Defenders a analysé 1.500 menaces qui lui ont été reportées, dont : des arrestations ou détentions (19,5 %), des poursuites judiciaires (14,2 %), des attaques physiques (12,8 %), des menaces de mort (10,9 %) et de la surveillance (9,6 %). Leur rapport précise : « En Asie et dans les Amériques, les menaces de mort étaient les violations les plus fréquentes à l’encontre des défenseurs ; en Afrique il s’agit des arrestations et détentions ; tandis que dans les régions Europe et Asie Centrale et Moyen-Orient et Afrique du Nord, les actions judiciaires contre les DDH arrivent en tête ». Notre premier article a pour objectif d’analyser ces tendances globales.

Les articles qui suivent viendront illustrer cette tendance que ce soit à l’échelle d’un pays - comme aux Philippines, en Palestine ou en Colombie - ou au travers de témoignages de défenseur.euse.s du droit à l’alimentation - en République Démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire ou au Kenya. Tou.te.s ces situations sont liées aux luttes soutenues par FIAN dans le Sud global. Dans la grande majorité de ces luttes locales qui impliquent des communautés dont les droits sont impactés par des politiques ou des entreprises belges, la criminalisation est constamment présente, et souvent d’un degré extrêmement élevé.

Le dernier article de la partie internationale se penchera sur les solutions existantes ou à créer en tentant de répondre à cette question : Quels sont les mécanismes et les moyens pour protéger et défendre les défenseur.euse.s ?

Notre deuxième partie s’intéresse à la criminalisation des défenseur.euse.s du droit à l’alimentation en Europe et en Belgique. Et bien que la question soit moins dramatique que dans d’autres régions du monde, la situation en Europe devient réellement préoccupante. Nous pensons qu’il est temps aujourd’hui de visibiliser cette tendance sourde et quasi-invisible qui combine « rétrécissement de l’espace civique » et « criminalisation des activistes et défenseur.euse.s des droits humains ». Que ce soit en Belgique, en France ou dans d’autres États européens, la criminalisation de la contestation citoyenne est de plus en plus banalisée. La répression de la part des forces de sécurité est souvent totalement disproportionnée. Et le pouvoir judiciaire n’est malheureusement pas toujours à la hauteur ou suffisamment indépendant.

Rien qu’en Belgique ces 12 derniers mois, nombre d’évènements nous font craindre une réelle régression des garanties démocratiques dont bénéficiaient les citoyen.ne.s pour défendre la réalisation des droits humains. Pour ne citer que ceux-ci, soulignons les exemples suivants : les piquets de grève cassés par les huissiers devant les Delhaize ; l’augmentation des arrestations préventives d’activistes et de fouilles à nu ; les procès d’activistes climatique et pour la souveraineté alimentaire ; les procédures bâillons auxquelles font face journalistes et activistes ; etc. Quelques semaines avant de clôturer ce numéro, le 5 octobre 2023, nous manifestions encore dans les rues de Bruxelles contre le projet de la « loi anti-casseurs », menaçant le droit de manifester, présenté par l’ancien ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne. Un projet de loi qui a heureusement été abandonné au vu de l’opposition sociale massive.

Que ce soit en Belgique, en France, en Colombie, aux Philippines, en Côte d’Ivoire ou en RDC, plusieurs aspects nous relient. Les luttes de défense des droits humains sont presque toujours collectives. Lié à cela, l’action collective et la solidarité constituent aussi souvent la meilleure protection contre la criminalisation. L’engagement et l’activisme de centaines et milliers de défenseur.euse.s de droits humains ont permis de protéger ou de faire avancer les droits humains dans différents pays. Faire écran aux gouvernements et aux tentatives privées ou politiques de stigmatiser ou criminaliser les défenseur.euse.s doit continuer à faire partie intégrante de nos luttes et de nos actions.

Globalisons la lutte ! Globalisons l’espoir !

Florence Kroff – Coordinatrice et chargée de plaidoyer chez FIAN Belgique


Cet article fait partie du Beet The System ! 2023 "Defend The Defenders :Stop à la criminalisation des défenseur·euse·s du droit à l’alimentation".

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