Palestine : Des voix critiques étiquetées de « terroristes »
[1]La construction illégale, l’élargissement des occupations, ainsi que de leurs infrastructures sur le territoire Palestinien sont des aspects caractéristiques de l’occupation israélienne. Depuis 1968, ce sont des dizaines de milliers d’habitations et de propriétés palestiniennes qui ont été démolies ; et pas moins de 100 000 ha de terre qui ont été saisies par les colonies israéliennes et leurs projets agricoles [2]. Et bien que la colonisation de la Palestine ait de nombreuses fois été condamnée par la communauté internationale, les colons israéliens continuent de voler les terres palestiniennes et les agriculteur·rice·s voient leurs terres rongées et parfois totalement disparaître. La voix des palestinien·ne·s est réduite au silence : les organisations qui prennent la défense des agriculteur·rice·s sont qualifiées de « terroristes ».
Une histoire d’accaparement des terres
En Palestine, nous assistons à un étrange phénomène d’appropriation des terres ainsi qu’à une destruction du mode de vie agricole. Il est difficile de déterminer historiquement l’émergence de ce phénomène. À plusieurs reprises, les Palestinien·ne·s ont perdu leur terre de manière individuelle ou collective. De nombreux événements ont joué un rôle dans la dépossession des agriculteur·rice·s palestinien·ne·s de leurs terres agricoles : la loi « Ottomane-Tanzimât » [3] de 1858, l’augmentation de l’immigration sioniste avant la seconde guerre mondiale, l’achat de terres fertiles par de riches propriétaires fonciers, les incidents d’Al-Nakba (où des centaines de milliers de Palestinien·ne·s ont été déplacé·e·s et sont devenu·e·s des réfugié·é·s dans leur propre pays) et le gouvernement néolibéral palestinien. Bien que ce soient les Palestinien·ne·s qui en aient payé le prix, leurs droits restent absents du discours des autorités et des discussions institutionnelles. Et bien que les droits fonciers soient très importants pour le peuple, les autorités semblent y accorder de moins en moins d’attention. Pour conserver leur droit à la terre, les agriculteur·rice·s palestinien·ne·s n’ont pas d’autres choix que de cultiver ces terres et de maintenir leur mode de vie basé principalement sur l’agriculture.
Pour les Palestinien·ne·s, l’agriculture est bien plus qu’un secteur économique pourvoyeur d’emplois ; c’est un moyen de subsistance mais aussi une preuve d’installation dans l’espace. Lorsque des terres sont occupées et exploitées durant des années, il est plus simple d’introduire une plainte et de tenir tête à la colonisation israélienne.
La coopérative des femmes Retaj est un exemple qui explique ce phénomène. Cette organisation de femmes tente de préserver leurs droits fonciers par le biais de l’agriculture. Sur les collines en friche près de Naplouse, elles plantent des oliviers. Non seulement parce que les olives sont une spécialité palestinienne, mais aussi parce que leurs culture empêche la prise des terres par les colons israéliens. Une friche est en effet beaucoup plus facile à usurper qu’une terre qui est activement travaillée par la population palestinienne locale. Malgré l’utilisation active de leur propriété et la culture sur leurs propres terres, les tensions sont souvent vives, et les pratiques tout à fait légales et positives de ce groupe de femmes provoquent des réactions violentes, tant verbales que physiques, de la part des colons israéliens qui se trouvent à proximité.
Cet accaparement des terres s’accompagne régulièrement de violences. Les récoltes sont incendiées, les oliviers sont arrachés et les agriculteur·rice·s et leurs familles sont attaqué·e·s [4]. Fareed Taamallah, agriculteur palestinien, en a fait plusieurs fois l’expérience. Comme d’autres agriculteur·rice·s de la région, il souffre de la présence des occupations illégales et de l’agressivité de certains colons, qui ces dernières années ont attaqué plusieurs villages, détruisant non seulement des fermes et des terres agricoles, mais aussi des maisons et des voitures [5].
En 2020, près de 75 attaques de colons sur les terres palestiniennes ont été enregistrées, entraînant l’arrachage et l’endommagement de 6 500 oliviers et vignes [6]. Au-delà de la confiscation et de l’accaparement des terres, c’est toute la question de l’accès à la terre qui pose problème : les colonies israéliennes contrôlent l’accès à de vastes zones de terres agricoles en Cisjordanie, ce qui empêche de nombreux·se·s agriculteur·rice·s palestinien·ne·s d’accéder à leurs terres pour planter et récolter.
« Plus de 100 000 ha de terres ont été volées par les colons israéliens depuis 1967 »
En 2021, les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie représentaient quelque 201 kilomètres carrés. Cela représente environ 4 % de l’ensemble de la Cisjordanie [7]. Amnesty International a estimé l’ensemble des territoires volés depuis 1967 par les colons israéliens à plus de 100 000 ha [8].
Le territoire palestinien mis sur la touche
Les critiques contre la politique israélienne sont réduites au silence. Israël essaie en effet depuis de nombreuses années de délégitimer la population palestinienne ainsi que les différentes associations de défense des droits humains. L’une des organisations qui a récemment été confrontée à cette répression israélienne est Bisan Center for Research and Development (Bisan), une organisation partenaire de l’ONG belge Viva Salud. Bisan est une ONG palestinienne dont l’objectif est de développer les connaissances sur la colonisation israélienne ainsi que le combat de la Palestine pour sa souveraineté ; et ce via la recherche, un travail de plaidoyer et de sensibilisation autour de divers sujets. Outre des sujets tels que l’accaparement des terres, Bisan travaille également sur les droits des femmes et la santé publique, entre autres.
Le vendredi 19 octobre 2021, Israël a officiellement qualifié 6 organisations palestiniennes d’« organisations terroristes » [9] : Bisan, Al-Haq (droits humains), Addameer (droits des prisonnier·ère·s), Union of Palestinian Women’s Committees (droit des femmes), Defense for Children Palestine (droit des enfants) et Union of Agricultural Work Committees (défense des agriculteur·rice·s). Concrètement, en étant qualifiées d’« organisations terroristes », elles n’ont plus le droit d’exister et ne peuvent donc pas prétendre à des subventions, des dons ou des fonds de la part d’organisations internationales. Tout ce qu’elles font, toute forme de soutien qu’elles reçoivent, chaque euro qui leur parvient est donc illégal et peut être qualifié d’acte de terrorisme. Cela a un énorme impact sur le quotidien de ces organisations.
« Les organisations qualifiées de « terroristes » n’ont concrètement plus le droit d’exister et chaque forme de soutien qu’elles reçoivent peut être qualifié d’acte de terrorisme »
Cette menace constante génère stress et anxiété mentale chez les travailleur·euse·s de ces organisations. À tout moment, l’armée israélienne peut potentiellement faire irruption, perturber les activités, procéder à des arrestations, si bien que certains membres du personnel ont déjà démissionné. Pour les organisations figurant sur la liste des organisations terroristes, cette situation a un impact majeur sur la collecte de fonds. En coupant les aides européennes, Israël espère affaiblir les organisations palestiniennes. Bisan a publié l’année dernière un rapport sur l’influence de cette répression sur leur organisation. En moins de 10 ans, Bisan a perdu 66% de ses subventions internationales, soit environ 500 000 USD. Il en va de même pour toutes les autres organisations qui continuent de travailler, mais dans des conditions extrêmement difficiles.
Le fait d’être étiqueté « organisation terroriste » fait partie d’une campagne israélienne de longue date visant à empêcher le soutien financier international. Au cours des derniers mois et des dernières années, des groupes pro-israéliens ont fait pression sur les donateurs européens avec le message suivant : « les dons européens financent des organisations terroristes ». Cette campagne diffamatoire conduit certains donateurs à cesser leur soutien financier.
L’importance capitale du soutien international
Malgré les tentatives d’Israël de mettre fin au soutien européen à la société civile palestinienne, de nombreux États membres de l’UE ont réaffirmé leur confiance dans les organisations qualifiées de terroristes. Neuf États membres, dont la Belgique, ont signé une déclaration dans laquelle ils ont déclaré qu’aucune preuve de terrorisme n’avait été décelée et ont demandé à Israël de lever cette étiquette. Ils se sont engagés à continuer à reconnaître ces organisations, ce qui permet encore de les financer.
Israël n’a pas tardé à donner sa réponse et le jeudi 18 août 2022, au petit matin, l’armée israélienne a fait une descente dans les bureaux de ces six organisations. Ils ont enfoncé les portes, retourné les bureaux, emporté des documents importants, désactivé les caméras et scellé les bureaux après leur départ [10].
Malgré tout, le soutien européen n’a pas été vain puisqu’après l’intrusion de l’année dernière, toutes les organisations fonctionnent à nouveau. Les conditions restent précaires, mais leur travail incroyablement important se poursuit actuellement.
Nous ne devons pas baisser la garde. Dès que ces organisations ou les défenseur·euse·s en général ne recevront plus le soutien international, elles risqueront très probablement d’être durement touchées par Israël, avec des conséquences extrêmes pour la population palestinienne.
L’Europe peut et doit faire davantage. Continuer à soutenir les organisations palestiniennes est une chose, mais s’opposer activement à Israël enverrait un message beaucoup plus fort. Un boycott général des produits israéliens, l’exclusion d’Israël des organisations internationales, des événements sportifs, des concours de musique, etc. sont autant de mesures que l’Europe pourrait prendre pour soutenir activement le peuple palestinien.
« S’opposer activement à Israël enverrait un message fort de la part de l’Europe »
A l’heure où la réalité du régime d’apartheid israélien contre le peuple palestinien est de plus en plus reconnue et dénoncée par de nombreuses ONG et mouvements sociaux, le rôle de la société civile palestinienne est essentiel. Elle est le dernier rempart pour la défense des droits humains des Palestinien·ne·s et mérite tout notre soutien.